samedi 23 septembre 2017

Une "nouvelle" de [PC]... (suite et fin)

Néanmoins, ce fut d’un ton rogue que je lui demandai : "Nous nous connaissons ?"
"Je vous ai souvent vu passer et je sais qui vous êtes, mais vous, vous n’avez jamais fait attention à moi." dit-elle avec une moue qui la fit paraître enfantine. Comme la radio passait un tango, elle se pencha pour lever le son, sortit et vint ouvrir ma portière. "Faites-moi danser." Elle était légère dans mes bras et nous avons réinventé Le plus beau tango du monde. Son sourire était tendre et malicieux. Elle avait dû être une jeune fille espiègle et pleine de vie. J’eus soudain envie qu’elle me raconte son histoire, pour la première fois depuis deux ans, je m’intéressais à quelqu’un d’autre. "Vous d’abord." dit-elle, comme si elle avait lu dans mes pensées. Elle s’assit sous le chêne et m’invita à la rejoindre d’un geste gracieux.

J’évoquai mon petit garçon sans pouvoir retenir mes larmes et puis je parlai de Vanina sa maman. J’en parlai comme de la femme que j'avais aimée, avec qui j’avais eu envie de fonder une famille. Avais-je transformé trop vite Vanina en mère, oubliant la femme, l’amoureuse ? Quelle était ma part de responsabilité ? J’avais pris conscience d’un problème, exigé qu’elle le résolve. Mais je ne l’avais pas aidée vraiment, pas cherché à savoir ce qui se cachait de souffrances derrière son addiction. J’avais fini par la mépriser et ne voir que la déchéance. Le pas mal assuré, les gestes devenus maladroits, les tremblements, la bouffissure des traits, l’odeur alcoolisée de son haleine me dégoûtaient. J’avais abandonné Vanina. Mon intransigeance avait détruit ma famille.
Un maelström de honte et de culpabilité me courba dans une nausée. Je me levai pour faire quelques pas. La femme me suivit, prit mon visage entre ses mains et l’inclina vers les étoiles. Je murmurai un pardon et le ciel se brouilla à travers mes larmes. "Il faut vous pardonner aussi" dit ma compagne. Je hochai la tête. Sa main dans la mienne redonnait vie à mon corps, la douleur me quittait. Elle frissonna et je l’enveloppai de mon blouson.
"Comment vous appelez-vous ?" Elle ne répondit pas, traversa la route d’un pas vif, escalada la roche et disparut dans le maquis, un craquement de branche, le grognement d’un sanglier dérangé et le silence reprit la nuit.

Le lendemain matin, les Rutalais qui partaient vers la plaine, se demandèrent d’abord éberlués puis hilares qui avait bien pu affubler la statue de la Vierge d’un blouson de cuir noir. Et surtout, comment ? Comment enfiler un vêtement à une statue ? Un embouteillage se forma. La Madone portait bel et bien un blouson noir sur sa robe blanche. L’évêque accourut, le préfet se déplaça, la gendarmerie enquêta. Certains crièrent au miracle, d’autres au sacrilège. Marie souriait et gardait son secret.

Un matin, je trouvais mon blouson posé sur le capot de ma voiture. Le cuir noir sur le cœur, pleurant et riant, j’esquissai sur le trottoir quelques pas du plus beau tango du monde.
[PC]

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