jeudi 21 septembre 2017

Une "nouvelle" de ... [PC]

"TANGO"

Balayée de bourrasques et d’ennui, la place Saint Nicolas me fit presser le pas vers le Vieux Port que j’espérais plus animé. Las, la ville dormait. Une porte s’ouvrit, troublant la ruelle d’une lumière rouge et de musique à effeuillage langoureux. Un type sortit en titubant du bar de nuit et envoya un baiser grotesque à une rousse accoudée au comptoir. À l’angle de la rue, l’homme heurta le mur, jura et s’accrochant à un réverbère dégueula sa soirée d’ivrogne. Il tendit la main vers moi, "putain, je suis mal" pleurnicha-t-il. Je crachai dans le caniveau et lui souhaitai de crever.
Je laissai Bastia derrière moi, le pied lourd sur l’accélérateur comme si la vitesse pouvait me faire échapper à mes cauchemars, à mon chagrin, mais aussi à cette dureté que je n’aimais pas chez moi. Après Biguglia, je pris la direction de Rutali, il me fallait mon village natal, ma matrice. Là seulement, je trouverais un semblant de paix, d’équilibre. Je me garai sous la statue de la Vierge près du petit chêne baptisé Le chêne de César. César qui l’avait planté s’en occupait avec l’attention que l’on porte à un enfant pour qu’il grandisse droit et fort. Ce que j’aurais voulu faire avec mon fils. J’abattis mes poings sur le volant, y cognai mon front et pleurai longtemps.


"Un peu d’alcool, disait ma femme aide à se mettre dans l’ambiance." Séduisante, séductrice et amusante, elle riait, plaisantait, dansait quand un ou deux verres avaient fait tomber les barrières de sa timidité. Mais très vite, nous avons glissé du bonheur vers des disputes fréquentes et sordides à propos de l’alcool. Elle buvait parfois dès le matin. J’avais peur pour notre fils. J’ai supplié, crié, négocié. Un jour, j’ai même eu envie de la gifler. Nous ne méritions pas d’en arriver à cette honte. 
Je ne saurai jamais ce qu’elle allait faire sur cette route verglacée du Fiumorbu.
J’ai assisté sans larmes, froid et haineux à ses obsèques ; glacé et désespéré quand on a fait glisser dans la tombe le petit cercueil de Matteo, cinq ans.
Rutali était plongé dans le noir, il était bien trop tard pour aller chercher du réconfort auprès de mon ami Toussaint.  Je laissai s’apaiser ma peine, cherchai un dérivatif en allumant l’autoradio et essayai de chanter d’une voix pitoyable. Plus de mouchoirs dans la boîte à gants, je me mouchai avec le bas de ma chemise.

La femme ouvrit la portière et s’installa à la place du passager. "Moi aussi j’ai perdu un enfant". Je sursautai si violemment que je me mordis la langue. Furieux, mon premier mouvement fut de lui dire de me ficher la paix et de sortir de ma voiture. J’avais le goût du sang dans la bouche et si mal que je l’aurais volontiers poussée au-dehors. Je me tournai vers elle le visage crispé de colère. Je restai bouche bée, ébloui. Elle était si belle… Je détaillai le visage fin encadré de longs cheveux noirs, passai vite sur un genou rond que dévoilait la robe blanche, tentai de ne pas m’attarder sur un corps que je devinais troublant. Je ne voulais pas lui faire peur, je ne voulais plus qu’elle s’en aille... (à suivre)

3 commentaires:

  1. J' adore cette écriture nerveuse,sensible,drôle...que je reconnais et que j' apprécie .A l'auteur(e),je dis "vivement la suite"et je guette ce plaisir,comme une gourmandise.Michèle Flori.

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  2. Bravo !, j'attends la suite aussi...

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  3. Je guette ce plaisir, comme une gourmandise ...?????

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