Amour qui n'est qu'amour...
Amour
qui n’est qu’amour, qui vit sans espérance,
De soi-même par
soi par soi-même agité,
Qui naquit éternel vif à
l’éternité
Qui surpasse en aimant l’âme et la
connaissance,
Que cet amour est près de la divinité !
On
dit qu’amour est feu, le feu est de deux sortes :
L’un se
mêle confus avec les éléments,
Pour engendrer, nourrir par
leurs tempéraments,
L’autre assiège du Ciel tout céleste les
portes,
Prenant en soi la vie et tous ses mouvements.
Le
premier s’asservit sous les lois de la nature,
Se mêle, se
démêle et se perd quelquefois.
Quand le vivre lui faut, l’autre
n’a d’autres lois
Que son cours, son esprit, son âme belle et
pure,
Et feu est toujours feu, sans le secours du bois.
L’homme
par la raison tient, augmente et possède
Le feu qui n’est vrai
feu, mais un bien que des dieux
Le larron Promethée eut le moins
précieux,
L’autre qui en beauté tout le dessous excède
Ne
pouvant être Ciel est le plus près des Cieux.
Je
veux du feu terrestre et de l’élémentaire
Comparer deux
amours, dont l’un a pour objet
Un désir, un plaisir, imparfait
et abject,
L’autre se mire en soi, et tout seul se veut
plaire
Il est la cause et fin, sa vie et son subject.
Amants
qui abaissez votre amour de la vue,
Qui l’endormez enfant au
berceau du loisir,
De qui le coeur enflé engrossa de désir,
Vous
voyez l’espérance à la poitrine nue,
Faire téter amour au
lait de son plaisir.
Si
votre oeil fasciné un coup se défascine,
Si le coeur perd sa fin
ou se contente un jour,
Si fortune effrayant de quelque lâche
tour
La nourrice d’amour a séché sa poitrine,
Tout meurt,
votre désir, l’espérance et l’amour.
Mais
ceux qui sont épris des plus célestes flammes
Ne sont haussés
du trop et abaissés du peu,
Leur amour n’est enfant de peu de
choses esmeu,
Rien ne le fait mourir : En ces heureuses
âmes,
Sans espoir et sans bois vit l’amour et le feu.
Un
peu d’eau fait mourir une flamme commune.
Les larmes font mourir
les amours et les feux
Des amants espérants, les autres
amoureux
Triomphent sur les pleurs, commandent la fortune
Car
l’eau est sous le feu comme il est sous les Cieux.
Ah !
que le feu terrestre a sur soi de nuages !
Ah ! que
l’autre est couvert d’une belle clarté !
Que l’un a de
fumée et l’autre de beauté !
L’un sert même aux
enfers, aux peines et aux rages,
L’autre aux Cieux, aux plaisirs
de la divinité.
Pour
cause, en mon amour j’aime pour ce que j’aime,
J’aime sans
désirer que le plaisir d’aimer,
Mon âme par son âme apprend à
s’animer,
Je n’espère en aimant rien plus que l’amour
même
Et le bois de ce feu ne se peut consumer.
Si
on dit votre amour est simple et stérile,
Sans produire, sans
croître et est sans action
Le feu pur est ainsi sans
dépérition.
S’il ne meurt point, pourquoi doit-il être
fertile ?
Croître et diminuer sont imperfection.
Belle
divinité qui mon âme a ravie
En ton Ciel avec toi, mon âme a
pris des yeux
Pour contempler de toi le beau, le précieux,
Pareil
au bienheureux est son heure et sa vie,
Car être au paradis,
c’est contempler les dieux.
Mais
ne puis-je espérer de mes beaux feux estaindre ?
Mais
dois-je désirer d’esteindre ces beaux feux ?
Non, c’est
ne vouloir point le plaisir que je veux,
Je ne puis le vouloir et
n’oserais le craindre,
Mon amour ne craint pis et n’espère
rien mieux.
Je
vois de mon beau ciel les espérances vaines
Des amants abusés,
l’un ne peut s’esjouir.
Possédant un défaut, l’autre ne
peut fuir
Le manque et l’imparfait des amitiés humaines
Et
l’amour sans l’espoir est plus que le jouir.
Je
ne désire rien, que faut-il que j’espère ?
Et je n’espère
rien, que puis-je désirer ?
Mon amour sait ravie, et non par
martyrer,
Et sur mon bien parfait, qu’est-ce qui me peut
plaire ?
Si mon bien ne peut croître, il ne peut empirer.
L’élément
en hauteur surpasse toute flamme,
Le feu est le plus sûr de tous
les éléments,
Mon âme aime plus haut que tous entendements,
Il
n’est rien de si beau que le beau de ma dame,
Elle efface tous
beau, et moi tous les amants.
Théodore Agrippa d’Aubigné, Stances XXI
Tr-s très belle poésie !
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