L’abeille
Quand
l’abeille, au printemps, confiante et charmée,
Sort de la ruche
et prend son vol au sein des airs,
Tout l’invite et lui rit sur
sa route embaumée.
L’églantier berce au vent ses boutons
entr’ouverts ;
La clochette des prés incline avec
tendresse
Sous le regard du jour son front pâle et
léger.
L’abeille cède émue au désir qui la presse ;
Elle aperçoit un lis et descend s’y plonger.
Une fleur est pour elle
une mer de délices.
Dans son enchantement, du fond de cent
calices.
Elle sort trébuchant sous une poudre d’or.
Son
fardeau l’alourdit, mais elle vole encor.
Une rose est là-bas
qui s’ouvre et la convie ;
Sur ce sein parfumé tandis qu’elle
s’oublie,
Le soleil s’est voilé. Poussé par l’aquilon,
Un
orage prochain menace le vallon.
Le tonnerre a grondé. Mais dans
sa quête ardente
L’abeille n’entend rien, ne voit rien,
l’imprudente !
Sur les buissons en fleur l’eau fond de toute
part ;
Pour regagner la ruche il est déjà trop tard.
La rose
si fragile, et que l’ouragan brise,
Referme pour toujours son
calice odorant ;
La rose est une tombe, et l’abeille
surprise
Dans un dernier parfum s’enivre en expirant.
Qui
dira les destins dont sa mort est l’image ?
Ah ! combien parmi
nous d’artistes inconnus,
Partis dans leur espoir par un jour
sans nuage,
Des champs qu’ils parcouraient ne sont pas revenus
!
Une ivresse sacrée aveuglait leur courage ;
Au gré de leurs
désirs, sans craindre les autans,
Ils butinaient au loin sur la
foi du printemps.
Quel retour glorieux l’avenir leur apprête
!
À ces mille trésors épars sur leur chemin
L’amour divin
de l’art les guide et les arrête :
Tout est fleur aujourd’hui,
tout sera miel demain.
Ils revenaient déjà vers la ruche
immortelle ;
Un vent du ciel soufflait, prêt à les soulever.
Au
milieu des parfums la Mort brise leur aile ;
Chargés comme
l’abeille, ils périssent comme elle
Sur le butin doré qu’ils
n’ont pas pu sauver.
Louise Ackermann, Contes et poésies (1863)
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