L'enfant prodigue (II)
À mon avis, l'hymen et ses liens
Sont les
plus grands ou des maux ou des biens.
Point de milieu ; l'état du
mariage
Est des humains le plus cher avantage,
Quand le rapport
des esprits et des cœurs,
Des sentiments, des goûts, et des
humeurs,
Serre ces nœuds tissus par la nature,
Que l'amour
forme et que l'honneur épure.
Dieux ! quel plaisir d'aimer
publiquement,
Et de porter le nom de son amant !
Votre maison,
vos gens, votre livrée,
Tout vous retrace une image adorée ;
Et
vos enfants, ces gages précieux,
Nés de l'amour, en sont de
nouveaux nœuds.
Un tel hymen, une union si chère,
Si l'on en
voit, c'est le ciel sur la terre.
Mais tristement vendre par un
contrat
Sa liberté, son nom, et son état,
Aux volontés d'un
maître despotique,
Dont on devient le premier domestique ;
Se
quereller ou s'éviter le jour ;
Sans joie à table, et la nuit
sans amour ;
Trembler toujours d'avoir une faiblesse,
Y
succomber, ou combattre sans cesse ;
Tromper son maître, ou vivre
sans espoir
Dans les langueurs d'un importun devoir ;
Gémir,
sécher dans sa douleur profonde ;
Un tel hymen est l'enfer de ce
monde.
Voltaire (1694-1778)
Recueil : L'enfant
prodigue, II, 2 (1736)
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