Pour tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de l'île , voici un texte trouvé par Joris Giovanetti, riche témoignage d'une époque révolue écrit en 1905 par un jeune homme pour un devoir scolaire à San Gavinu d'Ampugnani.
En plus d'être extraordinaire de par sa qualité ( à noter que l'auteur n'avait que 13 ans) , il nous livre ici un portrait détaillé d'une époque lointaine dont les échos de la réflexion peuvent se répandre dans notre société contemporaine.
Ce jeune homme perdra malheureusement la vie lors de la Première Guerre Mondiale.
San Gavinu 2/12/1905 Dominique Leandri 14/20
« Décrivez votre village au moment ou le travail commence. Dites quelle réflexion vous suggère ce spectacle »
" L’aube commence à poindre, une aube craintive de novembre, déchirant à peine le voile brumeux qui précède le matin, c’est le moment ou l’on fait la cueillette des châtaignes.
Le village s’éveille lentement comme d’un rêve. Des nuages d’une légère fumée s’échappent peu à peu des toits et l’air se remplit d’une forte et saine odeur de jambon grillé. Ce sont les ménagères qui préparent à la hâte leur déjeuner et leur diner, tout à la fois, car on ne reviendra que ce soir à la tombée de la nuit.
Par une fenêtre entre ouverte, on voit une femme qui, à intervalles réguliers, presse une tranche fumante entre deux moitiés d’un gros pain. Un groupe sort tout à coup d’une maison ; un autre lui succède, on dirait qu’un mot d’ordre a circulé. Il n’en est rien.
Seulement il est rare qu’un villageois se trompe sur l’heure qu’il est, sans montre , bien entendu. Les hommes, habillés de velours à raies et coiffés d’une casquette enfoncée jusqu’au oreilles forment un groupe à part. Les femmes sont vêtues de grosse toile autour de la tête, un mouchoir de batiste enroulé, fait office de turban. Cet ensemble est vraiment pittoresque par sa beauté primitive.
Quelques familles, les plus aisées ont un mulet. Il est rare que les autres, si pauvres qu’elles soient ne possèdent pas au moins un âne. Ces bêtes sont chargées d’objets divers. D’abord ce sont des sacs pliés entre les deux montants de la selle- une selle de campagne. Ensuite, ce sont des paniers en bois de châtaignier taillé et tressé, et qui se balancent à chaque mouvement de l’animal.
Tous, hommes et femmes ont à la main un objet de forme primitive que l’on ne retrouve qu’en Corse : c’est une espèce de fourche a trident, mais ayant les dents recourbées en effet, cet objet doit servir à découvrir les châtaignes sous les feuilles qui forment un tapis épais dans la châtaigneraie.
Des vieux, caressant gravement leur barbe parfois sexagénaire, ressemblent à des consuls romains. Ils calculent sur leur doigts le quartier de lune actuel, en observant l’air, écoutant le chant des coqs ou tout autre signe, ils prédisent la pluie ou le beau temps. Et ce qui est le plus curieux, c’est qu’il est rare qu’ils se trompent dans leurs prévisions.
Puis tout le convoi se met en marche. Ici, une femme encore jeune assomme presque avec un gros gourdin son âne rétif. Plus loin, c’est une discussion qui s’engage. Enfin les groupes s’éparpillent dans toutes les directions et on se souhaite une bonne récolte. C’est la saine vie de la campagne, celle qui avait donné à nos ancêtres un tempérament de fer.
Elle tend peu à peu a disparaître, car la ville les attirent, les pauvres paysans. Ils s’imaginent y trouver la fortune. Hélas ! Combien restent détrompés ! Ces mœurs patriarcales qui faisaient d’un village une famille, tendent peu à peu à disparaître. Le corse perd son caractère de franche hospitalité et d’honnêteté. Et le châtaignier, jadis la mamelle de la Corse, que l’on respectait pour sa sobriété et sa générosité, n’a plus le même sort.
Maintenant, les meilleurs arbres sont coupés et leurs os seront broyés sous l’implacable couperet de l’usine. Et vous vous plaignez de mauvaises récoltes, ô paysans, vous accusez le destin !
C’est vous autre qui êtes les propres artisans de votre ruine. Qu’espérez- vous de ces quelques arbres sans sève que vous épargnez parce qu’ils ne sont plus bons pour l’usine ?
Retrempe toi ô fils de la libre Corse, dans l’ancienne vie de tes ancêtres. Ce n’est pas au loin que tu trouveras le bonheur. Il est là si tu veux en profiter.
Profites-en et ne te laisse pas tenter par les séductions trompeuses des villes ! "
EXTRAORDINAIRE...Merci Marc!
RépondreSupprimerLimpia
Magnifique. Quelle maturité pour un si jeune garçon ! 14/20 seulement, maintenant il aurait 22/20 !
RépondreSupprimerQuel talent du Minou Drouet
RépondreSupprimerUn garçon de 13 ans ?! On a du mal à y croire ! Exceptionnel, oui vraiment exceptionnel !!
RépondreSupprimerEt l'écriture... Qui écrit ainsi de nos jours ?!
En lisant ce texte, je réalise tout le travail en amont. Je me souviens de très anciens livres de français qui apprenaient à rédiger, au travers de nombreux exercices, en employant des tournures de phrase, un vocabulaire adapté... etc. La rédaction venait après et était alors une application de ces apprentissages. Une époque également où le temps consacré à l'étude de la langue française était conséquent !!
Le 14/20 ne m'étonne pas, c'était pour l'époque une très bonne note. On ne voyait pas des notes très supérieures, en rédaction française !
EXCELLENT!
RépondreSupprimerRien que la ponctuation est une démonstration du niveau de"l'élève" . , ; tout y est et au bon moment.
"Le corse perd son caractère de franche hospitalité et d'honnêteté" .Diable ,cet adolescent avait des dons d'extralucide.
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