mardi 15 mars 2016

Le coin des Poètes...

Conseil

Eh bien ! mêle ta vie à la verte forêt !
Escalade la roche aux nobles altitudes.
Respire, et libre enfin des vieilles servitudes,
Fuis les regrets amers que ton cœur savourait.

Dès l’heure éblouissante où le matin paraît,
Marche au hasard ; gravis les sentiers les plus rudes.
Va devant toi, baisé par l’air des solitudes,
Comme une biche en pleurs qu’on effaroucherait.

Cueille la fleur agreste au bord du précipice.
Regarde l’antre affreux que le lierre tapisse
Et le vol des oiseaux dans les chênes touffus.

Marche et prête l’oreille en tes sauvages courses ;
Car tout le bois frémit, plein de rhythmes confus,
Et la Muse aux beaux yeux chante dans l’eau des sources.

Théodore de Banville, Les Cariatides (1842)
 
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Liberté
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom
Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom
Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom
Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer "Liberté" !
Paul Éluard

2 commentaires:

  1. Quel plaisir renouvelé de lire ces beaux poèmes!

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  2. L'air est pur, la route est large,
    Le Clairon sonne la charge,
    Les Zouaves vont chantant,
    Et là-haut sur la colline,
    Dans la forêt qui domine,
    Le Prussien les attend -

    Le Clairon est un vieux brave,
    Et lorsque la lutte est grave,
    C'est un rude compagnon ;
    Il a vu mainte bataille
    Et porte plus d'une entaille,
    Depuis les pieds jusqu'au front.

    C'est lui qui guide la fête
    Jamais sa fière trompette
    N'eut un accent plus vainqueur;
    Et de son souffle de flamme,
    L'espérance vient à l'âme,
    Le courage monte au cœur.

    On grimpe, on court, on arrive,
    Et la fusillade est vive,
    Et les Prussiens sont adroits -
    Quand enfin le cri se jette:
    " En marche! A la baionnette !"
    Et l'on entre sous le bois.

    A la première décharge,
    Le Clairon sonnant la charge
    Tombe frappé sans recours;
    Mais, par un effort suprême,
    Menant le combat quand même,
    Le Clairon sonne toujours.

    Et cependant le sang coule,
    Mais sa main, qui le refoule,
    Suspend un instant la mort,
    Et de sa note affolée
    Précipitant la mélée,
    Le vieux Clairon sonne encor.

    Il est là, couché sur l'herbe,
    Dédaignant, blessé superbe,
    Tout espoir et tout secours;
    Et sur sa lèvre sanglante,
    Gardant sa trompette ardente,
    Il sonne, il sonne toujours.

    Puis, dans la forêt pressée,
    Voyant la charge lancée,
    Et les Zouaves bondir,
    Alors le clairon s'arrête,
    Sa dernière tâche est faite,
    Il achève de mourir.

    Paul Déroulède ..un grand poète injustement raillé....
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