samedi 8 avril 2017

Une "nouvelle" de Hovik Vardoumian... (envoi de Sergiacciu)

Bonjour Djéko ! _ par Hovik Vardoumian
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Élisabeth et Serge arrivèrent de Paris. Serge est poète, Élisabeth est traductrice. Notre contact avec Serge n’avait été que téléphonique. Il connaissait quelques mots en arménien et moi, en français. Venturini était venu non seulement me voir mais également voir le héros de mon récit. Ce n’était pas une mince affaire ; Serge Venturini, poète français, que beaucoup de gens désiraient rencontrer, était mon invité et de plus, il voulait qu’on visitât notre village pour découvrir le héros de mon récit.
Le héros de mon récit était un chien, le Djéko. Il voulait voir cet étonnant chien qui, après le départ de ses patrons, était resté seul et avait continué durant six - sept ans à surveiller la maison…
En effet, cette histoire était bien étonnante, et Djéko était adorable. C’était aussi un chien singulier dont l’histoire était arrivée jusqu’en Europe, et l’habitant de la ville des arts, le poète Venturini était venu le voir. Ma rencontre avec Serge Venturini fut très chaleureuse. Cependant, je ne sus, me semble-t-il, satisfaire vraiment ses attentes : je n’ai jamais été un interlocuteur intéressant. En revanche, la rencontre de Serge et de Djéko valait la peine.
Lorsque nous franchîmes le portail de mon oncle et entrâmes dans la maison, j’entendis un soupir profond :
- Enfin, ils sont là…
À vrai dire, je fus seul à l’entendre. Serge Venturini sentit quelque chose, quelque chose d’imperceptible, mais il ne l’entendit pas. C’était ma maison qui soupirait. À chaque fois que nous y venions, elle voulait crier de joie, mais elle ne faisait que soupirer à voix basse, tant sa nostalgie était immense.
Nous pénétrâmes dans la cour, montâmes les marches. Djéko n’était pas là. Mon cœur se serra : pourvu que rien ne lui fût arrivé… C’était déjà un chien âgé, sans patron, délaissé qui se débrouillait comme il pouvait.
Il apparut d’une façon inattendue. Djéko n’était pas comme la maison, lourde et sérieuse, pour se contenter d’un soupir. Comme toujours, il sautait et glapissait de joie, puis, il se mit à se rouler par terre. Nous tous le regardions en riant. Lorsqu’il se calma, nous nous assîmes sur les marches du balcon. Le regard de Serge Venturini ne quittait pas Djéko. Pour moi, Djéko était un chien délaissé, sans patron, déjà vieilli. Mais pour Serge Venturini, Djéko semblait un être extraordinaire ; ce que disait en tout cas son regard attendri.
- Bonjour Djéko, souriant, dit Venturini.
Djéko devint enfin sérieux et me regarda étonné :
- Qui est celui-là ?...
- Il est mon ami, il est venu de Paris pour te voir.
Djéko se tut un instant, puis, plissant les yeux, il regarda Serge Venturini et comprit que c’était un ami. Serge, impressionné de son regard intelligent, se mit à rire et ensuite, répéta :
- Bonjour, Djéko !
- Qu’est-ce qu’il dit ? Le regard de Djéko se tourna vers moi.
- Il te dit : « bonjour », traduis-je.
- Mais alors, pourquoi je ne le comprends pas ?
- Il parle français.
- Qu’est-ce que c’est que ce truc ?... Continuait à s’étonner Djéko.
- Une langue, comme la nôtre.
- Comment ? … s’étonna Djéko davantage.
- Que dit-il ? demanda Serge Venturini en riant.
- Il dit : « Je ne comprends pas : parle-moi en une langue compréhensible, enfin !... »
- « Barev, Djéko ! »… le salua Venturini avec son arménien.
- « Barev ! »… se réjouit Djéko, voilà, comme ça c’est bien, on comprend !...
Nous tous riions. Djéko se mit à rire aussi. Plutôt, il sourit. Comme la maison, à force d’être resté longtemps seul, il avait oublié le rire.
Le moment de rencontre attendu fut passé. Ensuite, notre invité et Djéko eurent une séance de photo. De temps à autre, nous en faisions partie. On prenait des photos pour que Venturini les amène à Paris afin de montrer à ses amis et à ses proches l’étonnant Djéko, un chien qui habite dans un village en Arménie et de raconter son histoire. Peut-être n’existe-t-il pas dans le monde pareille histoire, quand un poète apprécié traverse un continent, atteint un autre afin de voir et de photographier un petit chien. Un chien ordinaire dont l’histoire a été racontée par un écrivain…
Nous restâmes au village quelques jours. Les forêts aux alentours avec les sources fraîches étaient magiques, loin de la poussière, de la fumée et de la chaleur caniculaire d’Erevan. Et pour Djéko, c’était un vrai paradis. Il avait retrouvé son rire… Son doux rire se mêlait au chuchotement des arbres, au concert paisible et insouciant des oiseaux et des abeilles butineuses.
Comme d’habitude, au bout de quelques jours, le paradis de Djéko arriva à sa fin. Le matin tôt, nous devions prendre le bus à destination d’Erevan. Nous étions tous tristes, mais Djéko l’était davantage. Comme d’habitude, il nous accompagna jusqu’à l’arrêt du bus. Lorsque nous quittâmes la cour de mon oncle, notre maison s’était mise sur la pointe des pieds, avait étiré le cou pour nous voir et nous garder dans ses yeux jusqu’à la prochaine rencontre. Djéko marchait avec nous. Tantôt il avançait, tantôt se joignait à nous : tel un démineur, il vérifiait le chemin, il contrôlait notre sécurité. En même temps, lui et Venturini causaient. Ils faisaient ainsi leurs adieux. En très peu de temps, ils étaient devenus chers l’un à l’autre.
À l’arrêt du bus, il y avait du monde. Étonnés, les gens regardaient l’homme inconnu qui parlait avec Djéko dans une langue incompréhensible.
Le bus arriva. Tous se jetèrent pour prendre une place confortable, tandis que Venturini et Djéko causaient toujours. Avec les yeux tristes et en larmes, Djéko nous disait adieu… Notre maison toujours, sur la pointe des pieds, nous observait le cou étiré…
Deux ans après la visite de Venturini, Djéko ne fut plus. Avec le temps tout passe. Mais dans notre village, la rencontre du poète français et Djéko demeura comme une histoire, une légende. Une légende à propos de la bonté et de l’amour.
Une légende merveilleuse qui fait tenir le monde debout.
(Traduction Élisabeth Mouradian)

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