mercredi 20 décembre 2017

Conte de Noël (Guy de Maupassant) _ suite

On se mit à table, on mangea la soupe d'abord, puis, pendant que le mari étendait du beurre sur son pain, la femme prit l’œuf et l'examina d'un œil méfiant.
" Si y avait quelque chose dans c't'œuf ?
- Qué que tu veux qu'y ait ?
- J'sais ti, mé ?
- Allons, mange-le, et fais pas la bête. "
Elle ouvrit l’œuf. Il était comme tous les œufs, et bien frais.
Elle se mit à le manger en hésitant, le goûtant, le laissant, le reprenant. Le mari disait : " Eh bien ! qué goût qu'il a, c't'œuf ? "
Elle ne répondit pas et elle acheva de l'avaler ; puis, soudain, elle planta sur son homme des yeux fixes, hagards, alliolés, leva les bras, les tordit et, convulsée de la tête aux pieds, roula par terre, en poussant des cris horribles.
Toute la nuit elle se débattit en des spasmes épouvantables, secouée de tremblements
effrayants, déformée par de hideuses convulsions. Le forgeron, impuissant à la tenir, fut obligé de la lier.
Et elle hurlait sans repos, d'une voix infatigable :
" J'l'ai dans l'corps ! J'l'ai dans l'corps ! "
Je fus appelé le lendemain. J'ordonnai tous les calmants connus sans obtenir le moindre résultat. Elle était folle.
Alors, avec une incroyable rapidité, malgré l'obstacle des hautes neiges, la nouvelle, une nouvelle étrange, courut de ferme en ferme : " La femme du forgeron qu'est possédée ! " Et on venait de partout, sans oser pénétrer dans la maison ; on écoutait de loin ses cris affreux poussés d'une voix si forte qu'on ne les aurait pas crus d'une créature humaine.
Le curé du village fut prévenu. C'était un vieux prêtre naïf. Il accourut en surplis comme pour administrer un mourant et il prononça, en étendant les mains, les formules d'exorcisme, pendant que quatre hommes maintenaient sur un lit la femme écumante et tordue.
Mais l'esprit ne fut point chassé.
Et la Noël arriva sans que le temps eût changé.
La veille au matin, le prêtre vint me trouver :
"J'ai envie, dit-il, de faire assister à l'office de cette nuit cette malheureuse. Peut-être Dieu fera-t-il un miracle en sa faveur, à l'heure même où il naquit d'une femme." 

(à suivre)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire