Naturellement, vous aimez la Provence. Mais
quelle Provence ? Il y en a plusieurs. Une est toute nue, à peine
voilée d’un maillot de bain à dessins cubistes, et noire d’un
hâle étudié. Elle trône sur un “ planking ” entre deux ou
trois palaces et casinos. Celle-là, je la salue à peine quand je la
rencontre. Une autre perche sur de petits monts aérés, secs, où
tout est d’azur, le ciel, le silex pailleté, l’arbuste bleuâtre.
Il y a des morceaux de Provence gras, herbus, baignés de sources, de
petites Provences italiennes, même espagnoles; une Provence —
peut-être est-elle ma préférée — maritime, pays de calanques
d’un bleu qui n’est point suave mais féroce, de petits ports
huileux qu’on ne déchiffre qu’à travers une grille de mâts et
de cordages... Une Provence forestière resserre, sous la longue
ombre des pins parallèles, les parfums de la résine, et sous les
chênes lièges crépus, écorchés vifs, erre un assez septentrional
arôme de fougère, de lichen ras, une fallacieuse annonce de
truffe... La multitude des touristes désole, chaque année, toutes
les Provences. Optimiste, le touriste habite une villa, dix mètres
de sable et cent brasses de mer, et ne bouge guère. Il se rôtit et
mijote au bain-marie, alternativement. Pessimiste, il roule en auto,
et s’arrête pour boire, transpire, reroule et reboit. Il dit : “
Ce pays serait ravissant si on n’y avait pas si chaud et si la
nourriture était possible. ” Partout il réclame son bifteck aux
pommes, tendre à point, ses œufs au bacon, ses épinards en branche
et son café “ spécial ”. Il fait observer que son estomac ne
digère pas l’ail et que son médecin lui interdit la cuisine à
l’huile. Ce n’est certes pas pour la seule édification de ce
Viking, de cet Anglais, de ce Parigot, de ce Brandebourgeois, de ce
citoyen d’Amérique, de ce Genevois, de ce Balkanique, que je
prônerai l’excellence de quelque vieux plat provençal, les vertus
de l’ail, la transcendance de l’huile d’olive, et ma fidélité
aux trois légumes inséparables, vernissés, hauts en couleur comme
en goût : l’aubergine, la tomate et le poivron doux.
...
(à suivre)
Merci DD d'avoir bien voulu publier ce beau texte .Colette ,grand écrivain était aussi Colette gourmande .Nous la retrouverons .
RépondreSupprimerEncore merci ,SF