vendredi 29 janvier 2021

MUSÉE du "carédar"... [ERNST-La Toilette de la Mariée_1940]

Max ERNST
"La Toilette de la Mariée"_1940
Huile sur toile. (129,6 cm X 96,3 cm)
Musée Peggy Guggenheim, Venise.

"carédar-441"

Elle est roi et reine, chair et chimère ; une et plurielle, vierge et putain. Fiancée de qui, de quoi ? "La Toilette de la Mariée" est l’une des toiles les plus énigmatiques de Max Ernst. Datée de 1940, elle incarne dans toute sa splendeur la "résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l’on peut ainsi dire", que prônait André Breton pour sa révolution surréaliste. En son centre, une belle, quasiment nue, n’était son manteau de plumes couleur flamme et le masque de rapace qui cache son visage. Pour la servir, d’un côté une femme, nue elle aussi, dont la chevelure s’envole en une aile de pierre pourpre ; de l’autre, un étrange oiseau au long cou, muni d’une lance qui pointe vers le pubis de la mariée. À ses pieds, une monstrueuse créature verdâtre et grimaçante dotée de quatre seins, un ventre de parturiente, un sexe d’homme. Faut-il y voir les quatre avatars d’un même être, une valse de métamorphoses qui retrace les différentes étapes de la vie d’une femme ? De nombreux exégètes ont deviné sous le masque un portrait de la jeune peintre anglaise Leonora Carrington (1917-2011), follement aimée par Ernst. Mais l’explication trop simpliste ne suffit pas à lever le mystère de cette image aussi sophistiquée que primitive. Une immaculée conception ornée des attributs de pouvoir des rois hawaïens ; une Annonciation des tempêtes à venir, qui emprunte au symbolisme fin XIXe de Gustave Moreau, s’inspire des sensuelles silhouettes du maître de la renaissance allemande Lucas Cranach, s’imprègne des contes médiévaux dont raffolait le couple Ernst-Carrington. Le tout serti dans une architecture mise en scène à la Giorgio De Chirico, peintre métaphysique dont la découverte a renversé le jeune peintre allemand à son arrivée en France, en 1919.

Quand il imagine cette composition, au début d’une autre guerre plus terrible encore, Max Ernst traverse la période la plus noire de son existence. Depuis 1938, il partageait sa vie avec Leonora, dans une ferme isolée de Saint-Martin-d’Ardèche. Un temps d’apaisement, "moment de calme", pour reprendre le titre d’une toile datée de 1939, qui représente une forêt pétrifiée sous un soleil ardent. Mais la guerre éclate en septembre. Considéré comme "ennemi de la France", Ernst est arrêté et incarcéré, d’abord à Largentière (Ardèche), puis à deux reprises au camp des Milles, proche d’Aix-en-Provence. Va-t-il être renvoyé dans sa patrie d’origine, où le IIIe Reich l’a catégorisé dès 1937 comme l’un des pires "artistes dégénérés" ? La Toilette de la mariée est une parabole de ce temps de tourment, alchimique image qui fait fusionner grande Histoire et récit intime.

(Source : Le Monde_Par Emmanuelle Lequeux)

Max ERNST_1968
Max ERNST (1891-1976), né en Allemagne, peintre avant tout, sculpteur et écrivain, il sera l’un des artistes les plus influents des mouvements Dada et surréaliste.

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