mardi 16 février 2021

L'histoire des lecteurs...

Voici le début d'une histoire commencée par un lecteur qui propose de l'écrire à plusieurs mains :

La marquise, sortie tôt, rentra à cinq heures. Après avoir convoqué Michelet (très agité) elle refit son plan de table et disposa les fleurs livrées par Lachaume. Rien ne serait trop beau pour son premier dîner d'Épigrammes...


À vous la suite (dans les idées)... si vous le voulez bien.

Albrecht DÜRER
"Étude de trois mains"

22 commentaires:

  1. Elle entendit ,ouate par la distance ,le carillon de la porte de service ,sans doute Tortoni et sa fameuse bombe glacée ?

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  2. Mais ce fut Gratien ,son majordome ,qui après avoir discrètement frappe à la porte entrouverte ,lui présentait ,mains gantées ,un pneumatique sur un plateau d'argent .

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  3. Elle l'ouvrit sans appréhension ,les petits bleus étaient furieusement à la mode ,il en arrivait plusieurs chaque jour ; mais son front se barra vite des rides du souci : sa meilleure amie ,Daniele de Dagorno,victime d'une vilaine chute dans son parc ,navrée de se décommander au dernier moment ,interdite par la Faculté de tout déplacement,allait manqer ce soir à son amitié et au dîner des Épigrammes.

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  4. Le beau vers de M.de Lamartine "un seul être vous manque "... lui vint en memoire .D'une beauté piquante de rousse ,tres cultivée ,Daniele de Dagorno était reçue dans les meilleurs salons,dont celui de la Princesse Mathilde Bonaparte et fréquentait les milieux artistiques .On la disait tres éprise d'un jeune peintre prime au dernier Salon d'Automne .
    Il faudrait donc refaire ,une fois de plus ,le plan de table ; de quatorze couverts passer à...treize ? Mais cela ne se peut ! Un point douloureux annonciateur de migraine vrilla ses tempes .Que faire ? Il était encore temps .

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  5. Faites - moi le plaisir de lire : manquer ce soir à son amitie....merci .

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  6. Encore temps ,certes ,mais sans en perdre .Une invitation de dernière heure ,à la fois délicate et perilleuse ,pouvait l'exposer à un refus poli mais un peu humiliant ,pis a une fâcherie .Et puis ,elle ne savait que trop combien il faut parfois de temps à une jolie femme pour le choix de sa robe ,des accessoires ,de l'ornement de sa chevelure ...Un homme ,donc ,serait plus disponible ?encore le faudrait - il intelligent ,brillant causeur ,plutôt jeune ...Mais elle le connaissait cet oiseau rare ! Le jeune Proust avait été son voisin de table lors d'un récent souper chez Laure de Chevigne ,il avait su à la fois la faire rire ,la toucher et l'étonner par des réflexions dont la pertinence et l'acuité l'avaient charmée .Elle trouva vite son numéro de téléphone dans le Bottin Mondain.
    Ce fut Céleste ,sa gouvernante,qui décrocha et lui apprit que Monsieur était déjà sorti et ,qu'après une soirée theatrale,il souperait avec des amis à La Maison Dorée .Zut ,Zut et Zut ! Et cette migraine qui ne passait pas ,s'amplifiait ...Il lui fallait ,en urgence absolue ,une aspirine et un the bouillant .Elle regagna ses appartements privés ,sonna pour le the et fit appeler Augustine .

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  7. ...qui ne tarda pas ,tenant à bout de bras la robe de Worth ,en taffetas de soie gris argent ,choisie pour le dîner.Elle avait ,de ses doigts de fee ,défait deux
    pinces dorsales,puis enlevé si soigneusement à la pattemouille la trace infime de cette retouche,que Charles Frédérick Worth lui - meme n'y aurait trouvé rien à redire.La ceinture ,légèrement drapée ,et ses larges pans flottants étaient brodés de roses the,un petit bouquet des mêmes fleurs ornait le corsage .
    La marquise but son the à petites gorgées ,la migraine s'éloignait ...elle soupira d'aise et s'accorda quelques minutes avant d'ouvrir son vaste dressing .

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  8. Un ordre parfait y régnait,elle caressa du regard ,sous leurs housses transparentes ,les grandes robes de bal de Worth et de Paquin ,les robes de Garden - party et de villégiature des sœurs Callot ,les ensembles et les tailleurs de Jacques Doucet .Collectionneur et mécène ,il était le couturier préféré de Daniele de Dagorno.Enfin ,elle trouva la robe de soie bleu lavande ,un modèle de Jeanne Lanvin qui n'avait pas encore ouvert sa maison de couture mais habillait deja ,après l'avoir chapeaute ,le Faubourg Saint Germain .Elle ne l'avait portée qu'une seule fois ,à Londres ,lors d'une soirée à L'Ambassade et jamais remise : il y avait trop de pinces à défaire à cause d'un tres léger embonpoint si difficile à combattre avec un cuisinier tel que Michelet .

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  9. Sans le moindre soupir de nostalgie ,elle demanda à Augustine ,quelque peu étonnée mais deja ravie ,d'essayer la robe.Fort heureusement ,vu l'heure ,
    aucune retouche à faire ; elle lui allait si parfaitement ,que la Marquise ,émue ,se vit telle qu'elle était naguère .Dans sa cassette ,elle choisit une croix améthyste ,une fine chaîne d'or et les boucles d'oreilles assorties ,ses premiers bijoux de jeune fille ,et en para Augustine .Puis elle la pria de revenir à la
    demie de six heures pareillement vêtue ,parée ,cheveux noués ou relevés .

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  10. Ainsi qu'elle l'avait décidé ,dès le choix de sa robe arrête,elle ne porterait ce soir aucune pierre de couleur ;elle sortit de la cassette la parure de perles fines a l'orient irisé :choker ,bracelet ,pendants d'oreilles ,et la referma .
    Rosalie ,sa femme de chambre ,fit couler un bain parfume,sortit les dessous de soie ,puis l'habilla ( les pinces défaites évitèrent de lacer le corset trop serré ,joie !),et la coiffa de façon ravissante de torsades compliquées retenues dans le cou par une résille de velours noir .
    Un nuage de poudre de riz ,une goutte du nouveau parfum de Guerlain ,les escarpins assortis à la robe ,son petit réticule : fin prête!
    Augustine arriva,ponctuelle,fraîche comme la rosée dans sa robe bleu lavande ,simplement ornée d'une jolie dentelle au col et aux poignets ,ses longues boucles soyeuses bien tirées en arriere ,retenues par un ruban bleu - violet ,cascadant sur les épaules .



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  11. Une demi- heure avant l'arrivée des premiers invités ,la Marquise ,Augustine se tenant à ses côtés ,s'apprêtait à les accueillir .Augustine partageait les repas pris dans l'intimité ,mais n'avait jamais assiste à un de ces fameux dîners .L'explication en était simple : elle n'avait pas ,pour de graves raisons ,fait son "entrée dans le monde "( bal des débutantes de nos jours ) ,enfant unique ,orpheline de père ,puis de mère,une lointaine cousine de la Marquise ( de la main gauche ,disaient quelques uns de moins en moins nombreux ),une grand- tante religieuse était sa seule proche parente .La Marquise ,qui était sa marraine,avait pu la recueillir .
    Aimant à s'occuper,Augustine était tantôt lectrice ,secrétaire ,confidente ,et ,parfois ,la fine et exclusive retoucheuse d'un somptueux vestiaire.Rosalie ,la femme de chambre,enviait un peu cette prérogative ,mais se disait - elle ,c'est du travail en moins à faire,alors...

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  12. La Marquise jeta un regard satisfait à la grande table superbement dressée : il y avait bien quatorze couverts pour quatorze convives .Le carton marquant la place de Daniele de Dagorno ( ne pas oublier ,dès demain,,de téléphoner à la maison Boissier qui livrerait le jour meme ses chocolats préférés à son amie ),avait été enlevé et remplacé par un autre au nom d'Augustine.Les voisins de Daniele ,n'ayant pas change,seraient donc ceux d'Augustine : à droite,
    le célèbre journaliste et critique dramatique Francisque Sarcey,a gaucle ,le talentueux pianiste ,compositeur ,Raynaldo Hahn.
    Prise d'une subite et irraisonnée inspiration ( elle ne sut jamais vraiment se l'expliquer) elle mit le carton de Hahn à la place prévue pour le Lieutenant Clément - César de La Pantanie et celui de ce dernier à la gauche d'Augustine .

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  13. Plus du tout énervé ,Michelet fut digne de sa réputation ,et meme innova en faisant servir ,contrairement à la coutume ,le foie gras d'oie de Strasbourg en entrée ,au début du dîner.Le saumon de Loire en Bellevue précéda les fameux Épigrammes artistiquement présentes en couronne ,accompagnés de différentes sauces très relevées .Apres une suite classique ,qui n'oublia pas les fromages ,la bombe glacée ,sublime ,de Tortoni ,rafraîchit en point d'orgue tous les palais..Les vins ,sélectionnés par Gratien ,furent au diapason de ces mets de choix .
    Augustine ,en fille avertie ,y trempa poliment ses jolies lèvres ,mais ne but ,modérément ,que du Champagne ,ce vin dont Madame de Pompadour disait que c'était "le seul qui laisse la femme belle après boire "( une légende raconte aussi que la première coupe à ete moulée sur son sein)
    En revanche ,les émotions de la journée lui ayant ouvert l'appétit ,elle fit honneur à chaque plat servi ,mangeant avec des délicatesses de chatte d'évêque ,
    sans se tromper dans les différents couverts .Sobriete aidant ,elle ne dit aucune sottise ,sourit beaucoup à ses voisins de table ,charmant l'aimable Sarcey qui l'imaginait déjà dans les meilleurs rôles d'ingénues du répertoire .Clement - Cesar de La Pantanie ,ne la quittait pas des yeux ,en oubliant même de manger ,c'est vous dire ...
    Après le cafe et les liqueurs pris au salon ,un Havane au fumoir pour la plupart des officiers ,Raynaldo Hahn ,a la demande générale ,se mit au piano :ce fut
    l'heure exquise ,bissée ,et les autres chansons grises sur des poèmes de Verlaine .Dote d'une belle voix de baryton léger ,il chanta en s'accompagnant ,
    Puis il joua sa valse "Inspiration " et ,au final ,en l'honneur du régiment de Choiseul - Cavalerie ,la marche militaire "Les jeunes lauriers ".qui déchaîna une salve d'applaudissements .A minuit ,la Marquise,hôtesse attentionnee ,fit servir jus de fruits ,sorbets et autres rafraîchissements et mignardises .Gratien enflamma un grand punch qui en tenta beaucoup .
    La Marquise les convia ,toutes et tous , dans une semaine exactement ,meme jour ,meme heure ,a un dîner de chasse ,avec lievre à la royale à la Michelet .

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  14. Après les Épigrammes et le lièvre à la royale ,il y eut le dîner des cèpes ,des marrons et ,plus original ,celui des écrevisses .Michelet en vit un matin aux Halles ,dans des paniers ,avec de la paille et des orties ,qui lui rappelèrent celles qu'il pêchait ,enfant ,dans son petit village du Dauphiné et que sa mère préparait avec du poulet,des tomates ,du vin blanc et quelques herbes.Il enrichit la recette de crème fraiche,ajouta du Cognac ,de l'estragon ,du céleri ,
    d'autres aromates,et présenta son poulet aux écrevisses à la Marquise et à ses invites .Ce fut un triomphe : le dîner fut bisse ,ce qui n'était jamais arrivé
    meme pour les Épigrammes .La Marquise ,reconnaissante ,augmenta son salaire de belle façon .
    Clément - César était invité à tous les dîners ; il n'en manqua qu'un à cause de ses obligations militaires .Au debut .le fameux plan de table de la Marquise ne le plaçait pas toujours près d'Augustine ,tous deux en étaient si visiblement contrariés qu'elle décida de ne plus les séparer ,plan de table ou pas .
    Quelques dîners après ,Clément - César ,en grand uniforme ,demandait la main d'Augustine à la Marquise ,sa marraine et tutrice ,qui la lui accorda,le tenant en haute estime ,parfaite courtoisie et belle prestance ( ce qui ne gâte rien) ,mais exigea au moins six mois de fiançailles sinon plus .

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  15. Six mois,autant dire une éternité pour Augustine et Clément -Cesar ,mais la Marquise savait que le temps allait passer vite ,trop vite...se doutaient -ils seulement les tourtereaux de l'organisation,attentive aux moindres details,que necessitait dans leur monde l'organisation d'une pareille journée? La plus belle de leur vie,avec celles de la naissance de leurs futurs enfants.Les enfants ,mais on n'en était pas la ! Un kaleidoscope tournait dans sa tete jusqu'au vertige ,la migraine ...Ah non ,pas le temps,il fallait garder les idees bien claires ,elle récapitula : les fiancailles ( réception assez intime mais pas trop ) ,le trousseau à faire broder ,les toilettes de la mariee ( les siennes aussi),les faire -part,la décoration florale de l'eglise de la Madeleine,les choeurs ,la marche nuptiale ,le voyage de noces ,non,ce seriait leur choix .Et cette impression d'oublier quelque chose d'important ,mais oui ,le contrat que dresserait la veille du mariage Maitre Louis de Greppole ,ami de son pere ,son notaire avise et dévoue qui avait toute sa confiance .
    Elle l'appela aussitôt ( bien pratique quand même ce téléphone ) et obtint ,grande favveur,un rendez -vous pour le surlendemain.

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  16. Maitre de Greppole fut comme à l'accoutumée aimable et precis : pour que le ménage ait un niveau de vie décent ,la future epouse d'un officier devait obligatoirement être dotée,apporter en se mariant un revenu potentiel.En 1808 ,le montant de cet apport minimum avait été fixé à 600 francs de rente,puis un arrête dec1843 ,à décidé que la future épouse devait apporter 1200 francs de rente ,soit un capital de 24000 francs,faute de quoi ses superieurs refuseraient l'autorisation nécessaire pour se marier.
    La somme étant assez conséquente ,Maître de Greppole expliqua à la Marquise qu'il allait ,dans un premier temps,inventorier les bien propres d'Augustine
    herites de ses parents: le manoir decrepit ou elle était nee ,garde par un vieux jardinier et sa femme ,deux fermes de peu de rapport,une vigne bien placée mais negligee ,une forêt ...Assez peu en verite,mais il fallait quand même aller y voir de près .
    Le sachant passionne de genealogie,la Marquise lui raconta l'histoire ,jamais elucidee,de la parente ,main droite ,main gauche ,de feu la mère d'Augustine avec sa famille .Enfin ,ils convinrent de se revoir dans une dizaine de jours .

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  17. L'itineraire de retour à sa demeure traversait le quartier de l'Opera ,la Marquise pria Urbain ,son chauffeur ,de s'arrêter à hauteur du numéro 40 ,boulevard Haussmann ,et de l'attendre ,une bonne demi - heure.
    La dernière des "Grandes Cathédrales du commerce ",la sixième ,après le Petit Saint Thomas devenu le Bon Marche d'Aristide Boucicaut ,les Grands Magasins du Louvre ,le Bazar de l'Hotel de Ville ( BHV ) ,le Printemps et la Samaritaine ,les Galeries Lafayette ,venait juste d'ouvrir.
    Malgré l'heure peu propice,une foule se pressait dans les différents rayons ,touchait ,soupesait
    et palpait les articles exposés .Le brouhaha et le bourdonnement lui firent penser à une ruche .
    Elle attendit pour régler ses emplettes : ,des bas de soie pour Augustine,des jolis mouchoirs pour Rosalie ,et ,charité bien ordonnée ...un ravissant "bibi " ,a peiné essaye,qui lui donnait ,disons ,
    un petit air coquin des plus seyants .
    La Marquise apprécia le calme et la quiétude de sa résidence ,pas d'invités ,Clément -Cesar ,
    passait quelques jours de permission en famille .
    Elle dina ,en tête-à-tête avec Augustine ,d'un potage Germiny et de filets de sole à la normande .
    ( mais qu'ils étaient jolis ces fleurons feuilletés qui décoraient le plat ! d'habitude vaguement héraldiques ,ils avaient la forme de cœurs et de boutons de roses.Quelle chance était la sienne d'avoir un tel chef ,un véritable artiste ...) Elle toucha à peine au riz Condé qui plut beaucoup à sa pupille .
    Ce fut une soirée tendre et paisible ,après une partie de trictrac ,la Marquise se mît au piano et joua ,de mémoire ,l'heure exquise de Raynaldo Hahn ,Augustine lui lût quelques pages de son livre de chevet ,puis après l'affectueux baiser et les souhaits de bonne et douce nuit ,chacune regagna l'intimité de sa chambre .
    La marquise s'endormit presque aussitôt et fut heureuse ,au réveil ,d'avoir retrouve sa bonne mine.
    Elle soigna sa toilette ,revêtit un bel ensemble de Paquin ,mais ,frondeuse ,préféra aux chapeaux signés ,le petit bibi marrant des Galeries Lafayette ,celui qui lui donnait l'air un tantinet coquin .
    À son habitude ,elle n'arriverait ni en avance ,ni en retard ,mais à onze heures précises ,à son rendez -vous avec son banquier ,le Comte Moïse de Camondo .

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  18. Extrêmement élégant ,malgré une légère raideur,portant monocle après un accident de chasse,
    Moïse de Camondo inclina sa haute taille dans un parfait baisemain .Elle l'avait rencontre à plusieurs reprises après le décès de son père ,client de la banque Camondo ,alors associée à la banque de Paris et des Pays Bas ,depuis son installation à Paris ,venant de Constantinople ,en
    1869 .
    La banque Camondo s'etait distinguée par sa fidelite aux emprunts de la France lorsqu'elle dût faire face aux énormes exigences financières allemandes après la tragique défaite de 1870 .
    Plus tôt ,elle avait participé aux travaux du Canal de Suez.Detentrice des parts de fondateur de son père ,actionnaire et obligataire de la Société Civile,la Marquise avait patiemment conservé ses titres et son capital s'était accru dans de grandes proportions .
    Elle n'avait pas tous ses œufs dans le même panier ,mais son long entretien avec le Comte de Camondo la rassenera : elle disposait d'importantes liquidités lui permettant de mener à bien ses différents projets.
    Puis ,comme ils partageaient le goût de la gastronomie et l'art de recevoir ,ils echangerent des propos plus légers ,le Comte aurait bien voulu connaître le thème retenu pour son prochain grand dîner...
    Tout s'ordonna dans sa tête : pas de rivière de diamants pour Augustine ,mais une belle rénovation du manoir et des deux fermes,replanter la vigne ...elle envoya un petit bleu à Maître de Greppole ,lui donnant carte blanche sans soucis de financement .
    La Marquise et Augustine consacrèrent presque une semaine à l'achat du trousseau qui devait ensuite être brode aux initiales du jeune couple .Le Bon Marche inaugurait sa semaine du Blanc
    avec un grand choix de linge de maison et d'office de très belle qualité .Les prix en promotion ravirent la Marquise .
    Rien ne pressait pour les dessous ,linge de nuit ,robes d'interieur ,deshabilles,accessoires...la mode changeait si vite !mais elles ne résistèrent pas a de petites emplettes au Printemps et aux Galeries Lafayette .Un peu fatiguée par ces nombreuses allées et venues ,la marquise proposa
    la halte gourmande d'un chocolat chaud chez Angelina .
    Le lendemain ,Clément -César etait de retour de permission .Sa mère avait tenu à lui donner sa bague de fiançailles ,une aigue marine de la plus belle eau ; il allait la faire remonter par Chaumet ,le joaillier de Napoléon ,entourée de diamants .Son oncle ,le Baron Kabeine de Pantanie ,acquitterait la facture,présent de mariage.
    Maître de Greppole proposa un nouveau rendez -vous ,les nouvelles étaient plutôt bonnes mais il n'en dit pas plus au téléphone .

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  19. Maître de Greppole entretenait d'excellentes relations avec des confrères installés dans les départements proches et même au -delà ( à charge de revanche ) .Cela lui permit de présenter à la Marquise une estimation assez précise des travaux indispensables à la sauvegarde des biens de sa pupille.
    Le toit du vieux manoir devait etre entièrement refait,trop d'ardoises manquaient qui laissaient
    passer l'eau de pluie,traversant les combles ,elle avait tâche les murs de moisissures et abime
    le beau parquet d'une chambre .Les poutres ,en chêne multicentenaire,étaient intactes.
    Les fondations ,les murs ,de plus d'un mètre d'epaisseur,defieraient les siècles .
    L'ameublement laissait beaucoup à désirer,quelques beaux meubles devraient être revernis .
    Les fermes avaient assez bien resiste à l'usure du temps ,le matériel agricole vetuste ,le cheptel inexistant ,mais les terres étaient fertiles :à ble ,à maraichage ,à vergers ; dans moins d'un an ,avec un peu d'elevage ,elles rapporteraient .
    La vigne était la pépite de l'heritage ,idealement placée dans les collines du Sancerrois ,dévastée par le phylloxera ,abandonnée depuis le décès du pere d'Augustine ,la meilleure façon de la sauver était de la greffer ,sans tarder ,sur les nouveaux plants américains .
    La forêt de chenes ,hautement prisés par les tonneliers,avait beaucoup souffert du manque total d'entretien ,mais créer des éclaircies pour donner de la place à de beaux arbres,abattre ceux âgés de soixante - quinze ans et plus ,ne serait pas trop onéreux .
    Maître de Greppole avait ,grâce à ses relations ,selectionne les meilleures entreprises et les personnes aptes a mener a bien ces differents travaux .Les devis,si la Marquise le desirait ,lui seraient soumis dans les meilleurs délais .
    Puis,il lui fit la surprise de l'arbre genealogique d'Augustine ,il n'y avait rien "de la main gauche"
    dans la parente de feu sa mère avec la famille de la Marquise ,c'etait un peu complique :
    Au XIXe siecle ,la majorité matrimoniale etait de 25 ans pour un homme et de 21 ans pour une femme selon l'article 148 du code civil napoléonien ( 1804 ) : " Le fils qui n'a pas atteint l'âge de vingt -cinq ans accomplis ,la fille qui n'a pas atteint l'âge de vingt -et-un ans accomplis,ne peuvent contracter mariage sans le consentement de leur pere et mère ;en cas de dissentiment le consentement du pere suffit ".
    Mais même plus âgés .les jeunes gens qui desiraient se marier devaient notifier aux parents le projet par un acte notarie : "acte respectueux " ou "acte de respect ".En cas de refus ,la demande devait etre renouvelée deux fois .A l'issue de cette procédure legale,même à defaut de consentement ,le mariage pouvait être célébré un mois après la dernière notification .
    Si le garçon avait plus de 30 ans ,ou la fille plus de 25 ans ,un seul acte respectueux suffisait.
    Une Grand -tante de la Marquise,veuve,avait refuse ,à plusieurs reprises ,de donner son assentiment au mariage d'un de ses fils .Il avait donc du le renouveler .Par la suite ,il avait quitte la région avec son epouse et n'avait plus revu sa famille.
    Maître de Greppole avait eu la chance de trouver ces "actes respectueux " ou "actes en brevet "
    dans des archives privées : en clair ,les notaires mentionnaient l'acte dans leur repertoire mais donnaient l'original à la partie concernée .
    La Marquise le remercia chaleureusement et l'embrassa de bon cœur .

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  20. Il y eut ,bien sûr ,des retards et des imprévus,mais ,in fine ,les différents chantiers furent en voie d'achèvement dans le temps imparti .
    Peu à peu ,le manoir retrouva sa beauté ,après le toit refait à l'identique ,les huisseries rénovées ,les parquets ponces et les murs repeints ,restait la décoration : canapés et sièges à recouvrir ,moquettes ,rideaux ...
    Faveur insigne ,Monsieur Ternisen ,de la Maison Braquenie ,accepta de se rendre sur place avec mètre pliant ,calepin et les liasses d'échantillons de tissus .
    Il apprécia beaucoup le confort de l'automobile et la conduite d'Urbain et tout autant ,
    sinon plus, la compagnie de la Marquise et d'Augustine .
    Michelet avait préparé un beau panier pique - nique auquel ils firent honneur le moment venu.
    Surpris par la beauté de certains meubles ,Monsieur Ternisen nota pour la Marquise ,sur
    un feuillet de son calepin ,les adresses des meilleurs vernisseurs au tampon du Faubourg Saint - Antoine .
    C'est ce jour - la qu'Augustine ,tres émue de retrouver la maison des jours heureux de son enfance ,n'eut plus qu'une idée en tête : celle de se marier ,comme le voulait la tradition ,dans l'église de son baptême .Elle en parla à Clément - César ,qui parut content et à la Marquise ,sa marraine ,qui donna son accord avec un léger ,tres léger ,
    regret pour la Madeleine .
    Mais cela changeait tout pour Michelet ! Un repas de noces à organiser pour ,au moins ,
    cinquante personnes ,dans une maison qu'il ne connaissait pas ,et d'abord comment était la cuisine ,les fourneaux ,y avait - il au moins une glacière ?Avec la permission de la Marquise il y passa deux jours à regarder de près ,à inspecter ,ustensiles ,vaisselle,linge d'office ...La Marquise n'avait pas lésiné ,ni sur la qualité ni sur la quantite.Il en fut très satisfait . Il prit note de ce qui manquait et devait être apporté de Paris .
    Augustine avait choisi sa robe de mariée ,un modèle des sœurs Callot ,en mousseline avec des incrustations de Valenciennes ,un voile de tulle ,sans traine .Lachaume livrerait une couronne de fleurs d'oranger et un bouquet rond de fleurs de myrte et de pommier.
    Rosalie et Michelet demandèrent de concert une semaine de congé ,début octobre pour ...se marier ! La Marquise tomba des nues: malgré les fleurons ,en forme de cœurs et de fleurs qui n'avaient cessé de décorer les plats ,elle n'avait rien remarqué .
    Michelet prit soin de lui dire que le jeune commis ,talentueux ,qu'il formait depuis bientôt deux ans ,assurerait au mieux l'intérim .
    La Marquise les felicita ,leur promit de beaux cadeaux et les serra sur son cœur .

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  21. Les faire - part et les cartons d'invitation ,imprimés et graves par Benneton  ( qui d'autre?) ,étaient d'une sobre élégance : vélin ivoire et pas plus d'or qu'il n'en fallait .
    Sitôt réceptionnés ,consigne donnée de ne pas la deranger,la Marquise s'enferma dans son salon - bureau ;elle soupira longuement devant la montagne de papier qui l'attendait
    ,regrettant presque le temps ,pas si lointain ,où les parents des futurs mariés se rendaient au domicile des membres de la famille ,des parents et des amis ,pour annoncer le prochain mariage .La tournée des invitations consistait aussi ,parfois ,à envoyer  "les enfants d'honneur "annoncer la bonne nouvelle en offrant des dragées .
    A la fin du XVIIIe siècle ,en l'absence des personnes ,on commença à déposer ce qu'on appelait à l'époque "le billet de part ".Celui - ci deviendra le faire - part de mariage ,
    réserve cependant dans un premier temps à la noblesse et aux plus fortunés .
    Trêve de soupirs ,elle prit le premier faire - part dans la pile la plus haute ,celle des parents ,des alliés ,des amis ,des amis d'amis ... y mit quelques mots de sa plus belle plume ,s'assura de l'adresse avant de le glisser dans l'enveloppe assortie ,
    avec le carton d'invitation RSVP,et de continuer ainsi jusqu'à épuisement ( le sien aussi ) ,ce qui l'occupa la journée entière et la matinée du lendemain .
    La seconde liste ,simples relations ,dont certaines perdues de vue depuis longtemps ,
    mais qu'elle tenait à informer ,ses meilleurs fournisseurs ,Monsieur Ternisien ...fut assez vite expédiée ; nul besoin ,sauf rares exceptions ,de personnaliser l'envoi ,pas de carton d'invitation ,mais l'adresse toujours écrite de sa main ,en belle anglaise penchée .
    Les réponses ne se firent pas attendre longtemps,quatre personnes s'excuserent par lettre de ne pouvoir assister à la cérémonie : la grand - tante d'Augustine ,religieuse tres agee ,ne pouvait quitter son couvent ,une devait accoucher à la date prévue du mariage ,un couple d'amis devait impérativement prendre les eaux dans une station thermale .
    Tous les autres ,avec leurs félicitations ,remerciaient la Marquise de son aimable invitation ,seraient heureux de s'unir à sa joie et de présenter de vive voix leurs vœux de bonheur .
    On en était deja à plus de 120 convives ,sans compter la famille de Clément - César ,
    leurs invités ,le Colonel du régiment ,les amis officiers ,et ,comme toujours ,quelques oubliés de la dernière heure .Meme avec son grand talent et son expérience ,Michelet ne pouvait faire face ,ni la perdre .Ils eurent un long entretien ,se parlèrent à cœur ouvert comme à l'accoutumée ,et malgré qu'il en eut ,une fois de plus ,ce fut lui qui
    l'étonnant en proposant de faire appel à Potel et Chabot .
    "Paris n'a qu'un seul dîner" ,celui de Potel et Chabot pouvait - on lire dans la presse en cette fin du XIXe .
    L'histoire de cette maison avait commencé en 1820 ,à Paris ,le jour où Jean - François Potel ,maitre pâtissier ,rue Vivienne à Paris,et Étienne Chabot ,cuisinier réputé de la Cour de France ( Louis XVIII ) firent pot commun et érigèrent les fondations d'une maison de traiteur haut de gamme ,la société Potel et Chabot .
    Très vite ,ils servent les maisons royales et les institutions ,organisent par exemple la plupart des inaugurations de chemins de fer. En 1855 ,la maison orchestre les fêtes de Cherbourg en l'honneur de la reine Victoria,puis le dîner des maires aux Tuileries ,la course du siècle en 1900 ...
    La Marquise remercia chaleureusement Michelet et lui demanda de l'aider à faire le meilleur choix chez le traiteur .Elle lui annonça qu'elle donnerait un dîner ,la veille du mariage ,à Paris ,en l'honneur de la famille de Clément - César .
    Et que pensait - il d'un pique - nique ,le soir ,pour les invités du mariage qui s'attardent ?

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