L'itinéraire de retour à sa demeure traversait le quartier de l'Opéra, la Marquise pria Urbain, son chauffeur, de s'arrêter à hauteur du numéro 40 boulevard Haussmann, et de l'attendre une bonne demi-heure.
La dernière des "Grandes Cathédrales du
commerce", la sixième, après le Petit Saint Thomas devenu le
Bon Marché d'Aristide Boucicaut, les Grands Magasins du Louvre, le
Bazar de l'Hôtel de Ville (BHV), le Printemps et la Samaritaine, les
Galeries Lafayette, venait juste d'ouvrir.
Malgré l'heure peu
propice, une foule se pressait dans les différents rayons, touchait,
soupesait et palpait les articles exposés. Le brouhaha et le
bourdonnement lui firent penser à une ruche. Elle attendit pour
régler ses emplettes : des bas de soie pour Augustine, des jolis
mouchoirs pour Rosalie et, charité bien ordonnée, un ravissant
"bibi", à peine essayé, qui lui donnait, disons, un petit
air coquin des plus seyants.
La Marquise apprécia le calme et la
quiétude de sa résidence, pas d'invités, Clément-César, passait
quelques jours de permission en famille.
Elle dîna, en
tête-à-tête avec Augustine, d'un potage Germiny et de filets de
sole à la normande. Mais qu'ils étaient jolis ces fleurons
feuilletés qui décoraient le plat ! d'habitude vaguement
héraldiques, ils avaient la forme de cœurs et de boutons de roses.
Quelle chance était la sienne d'avoir un tel chef, un véritable
artiste ! Elle toucha à peine au riz Condé qui plut beaucoup à
sa pupille. Ce fut une soirée tendre et paisible, après une partie
de trictrac, la Marquise se mit au piano et joua, de mémoire,
l'heure exquise de Raynaldo Hahn. Augustine lui lut quelques pages de
son livre de chevet, puis après l'affectueux baiser et les souhaits
de bonne et douce nuit, chacune regagna l'intimité de sa chambre. La
marquise s'endormit presque aussitôt et fut heureuse, au réveil,
d'avoir retrouvé sa bonne mine. Elle soigna sa toilette, revêtit un
bel ensemble de Paquin, mais, frondeuse, préféra aux chapeaux
signés, le petit bibi marrant des Galeries Lafayette, celui qui lui
donnait l'air un tantinet coquin.
À son habitude, elle n'arriverait ni en avance, ni en retard, mais à onze heures précises, à son rendez-vous avec son banquier, le Comte Moïse de Camondo.
(... à suivre)
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