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Camille CLAUDEL à Montdevergues |
20ème extrait.
Long, très long, horriblement long monologue intérieur…
Assise bien droite sur son banc, face aux allées rectilignes qui butent contre le mur du fond, inexorable, mais dans lequel se niche le grand et massif portail de la propriété, elle regarde les dernières lueurs du soleil qui font briller les branches supérieures des arbres. Son regard qui balaie les lignes imperturbables du jardin revient périodiquement sur la grande porte close, puis remonte sur la cime des arbres, encore légèrement dorées. Au-dedans de la maison, les cris, plaintes, gémissements, hululements des malades les plus agités se sont tus, à la faveur de la trêve du repas, et seuls s’entendent des tintements de vaisselle. L’humidité du soir se fait sentir, elle hume l’odeur de terre mouillée, si familière. Elle a quelquefois pris dans sa main une petite poignée de cette glaise, l’a écrasée dans ses doigts ; c’était de la boue inerte ; elle l’a rejetée avec rage…
Son regard va jusqu’au ciel vide, où quelques petits nuages blancs rosés s’étirent indéfiniment, témoins de la chute du soleil sur l’horizon que les hauts murs lui cachent. Son regard revient périodiquement vers la porte, toujours close. Elle sait bien pourtant qu’à cette heure, il n’y a aucune chance de la voir s’ouvrir. Mais elle guette, comme toujours. Il va bien revenir un jour. Elle se jettera contre lui, le frère bien-aimé, froid maintenant comme le buste qu’elle fit de lui, il y a si longtemps… Elle parlera, elle essaiera d’argumenter, elle suppliera, elle pleurera… "J’ai mérité autre chose que cela". Mais déjà, la porte se refermera sur lui…
Le crépuscule s’installe ; il est temps de retrouver sa chambre, d’y manger sans crainte les pommes de terre et les œufs qu’elle a fait bouillir elle même, et qui donc ne risqueront pas de l’empoisonner… Elle croise en rentrant une silhouette en cornette : "Bonne nuit, Mademoiselle Claudel".
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