Les Trois Arbres, automne 1891 de Claude Monet. Christie's Images / Bridgeman Images Article paru dans Le Figaro du 21 janvier 1911
Novembre, fragments de style quelconque
J'aime l'automne, cette triste saison va bien aux souvenirs. Quand les arbres n'ont plus de feuilles, quand le ciel conserve encore au crépuscule la teinte rousse qui dore l'herbe fanée, il est doux de regarder s'éteindre tout ce qui naguère brûlait encore en vous.
Je viens de rentrer de ma promenade dans les prairies vides, au bord des fossés froids où les saules se mirent; le vent faisait siffler leurs branches dépouillées, quelquefois il se taisait, et puis recommençait tout à coup; alors les petites feuilles qui restent attachées aux broussailles tremblaient de nouveau, l'herbe frissonnait en se penchant sur terre, tout semblait devenir plus pâle et plus glacé; à l'horizon, le disque du soleil se perdait dans la couleur blanche du ciel, et le pénétrait alentour d'un peu de vie expirante. J'avais froid et presque peur.
Je me suis mis à l'abri derrière un monticule de gazon, le vent avait cessé. Je ne sais pourquoi, comme j'étais là, assis par terre, ne pensant à rien et regardant au loin la fumée qui sortait des chaumes, ma vie entière s'est placée devant moi comme un fantôme, et l'amer parfum des jours qui ne sont plus m'est revenu avec l'odeur de l'herbe séchée et des bois morts; mes pauvres années ont repassé devant moi comme emportées par l'hiver dans une tourmente lamentable; quelque chose de terrible les roulait dans mon souvenir avec plus de furie que la brise ne faisait courir les feuilles dans les sentiers paisibles; une ironie étrange les frôlait et les retournait pour mon spectacle, et puis toutes s'envolaient ensemble et se perdaient dans un ciel morne.
Elle est triste, la saison où nous sommes: on dirait que la vie va s'en aller avec le soleil, le frisson vous court dans le cœur comme sur la peau, tous les bruits s'éteignent, les horizons pâlissent, tout va dormir ou mourir. Je voyais tantôt les vaches rentrer, elles beuglaient en se tournant vers le couchant, le petit garçon qui les chassait devant lui avec une ronce grelottait sous ses habits de toile, elles glissaient sur la boue en redescendant la côte, et écrasaient quelques pommes restées dans l'herbe. Le soleil jetait un dernier adieu derrière les collines confondues, les lumières des maisons s'allumaient dans la vallée, et la lune, l'astre de la rosée, l'astre des pleurs, commençait à se découvrir dans les nuages et à montrer sa pâle figure.
Par Gustave Flaubert
mercredi 24 novembre 2021
Novembre...
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Brumaire et Frimaire ,tout est dit ...
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