dimanche 15 janvier 2023

Lire et relire... (envoi d'Yzus)

De Manosque à Florence, en passant par Milan, Venise, Padoue, Bologne, voici l'Italie de Jean Giono, romancier du bonheur. Le lecteur le suivra dans ses découvertes, avec un plaisir extrême. À chaque pas, le paysage et les êtres apportent leur leçon. Giono sait traduire le message d'une allée de cyprès sur une colline, du froncement de sourcils d'un Milanais, du battement de cils d'une Vénitienne. Il est délicieux de voyager avec un tel guide.
Quelques extraits
(Venise)
"Quant au péché, on trouve partout des masques, ou plus exactement des demi-masques, des loups. Ce très bel objet de taffetas, de moire ou de soie, dissimule le front, les yeux, le nez et laisse la bouche à découvert. Dans ce demi-visage noir, impassible, le regard vient directement de l'âge d'or. J'ai essayé quelques-uns de ces masques sur moi-même pour voir quel état d'esprit cela donnait. Cela en donne un dont je me refuse de parler. Mais en me regardant dans la glace, j'ai constaté que le loup me faisait proie moins facile à posséder et que même mon rire aux éclats était changé en sourire ambigu. Quel jeu magnifique ce serait dans la vie courante !
L'admirable c'est qu'ici on pourrait porter en temps normal un masque dans la rue sans scandale. On ne ferait que pitié".

" ...On nous sert un monceau de crevettes frites. Il y a au moins trente ans que je désire manger de nouveau des crevettes frites. Ma mère les préparait de cette façon dans ma jeunesse et depuis, on m'a toujours donné de ces affreuses crevettes bouillies. Retrouver sa jeunesse dans un bistrot classe ce bistrot dans les régions du paradis. D'ailleurs le vin est exquis ; on renouvelle le tas de crevettes avec empressements et sourires ; il fait frais, une ville de scaphandriers nous entoure et, par chance, le canal au bord duquel nous sommes sent surtout l'iode."

"...Il me demande si j'aime les seiches farcies. Il avait comme bonne amie une jardinière. Elle poussait sa barque des quatre-saisons sur le canal. Il lui suffisait de se mettre au parapet ; elle lui faisait passer une courgette, une pomme d'amour, une poignée de mâche. Il était en coquetterie avec une femme qui tenait l'épicerie du coin Rio Terra, derrière Il Tempio Israelitico... Elle lui donnait les fonds de sacs de riz.
Il faut hacher la salade et le cerfeuil avec une pointe d'ail et beaucoup de persil. Le persil est très bon à l'homme ; il donne une belle démarche. On coupe menu aussi les tentacules des petites seiches. Il ne les faut pas plus grosses qu'un œuf de pintade. On fait un coulis avec la pomme d'amour, de l'huile et le foie cru de trois ou quatre gros rougets. Dans les maisons où l'on est habitué à manger de la seiche farcie, on a toujours une petite jarre de garbinella. C'est un mot qui signifie "tour d'adresse". C'est une purée de fenouil de Padoue. On écrase dans de l'eau-de-vie de grosses tiges de ce fenouil qui pousse au bord des marais. Cette pâte, fine comme de l'argile à poterie, macère dans l'alcool pendant des mois. On en prend gros comme un poing d'homme. On la délaie dans du vin blanc. On fait crever le riz et on le laisse s'imbiber de ce vin blanc. La seiche est le seul fruit de mer qui demande assaisonnement de noix muscade. Cela vient de de ce qu'elle se nourrit des petites boues qui flottent entre deux eaux, comme du lait. Il faut beaucoup de temps pour farcir des seiches mais, bien entendu, on a le temps. Ensuite, on les fait cuire à la poêle dans de l'huile qui ne doit pas grésiller. Cela ne s'appelle pas "frire" ; cela s'appelle "sborare". C'est un mot qui signifie quelque chose de dégoûtant. Mais celui qui est près d'une poêle où l'on fait "sborare" des seiches ne se soucie plus du sens du mot".

1 commentaire:

  1. Plus et mieux qu'un régal ,un festin en paroles .Merci et bravo

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