Il faut que le poète
Il faut que le poète, épris d'ombre
et d'azur,
Esprit doux et splendide, au rayonnement pur,
Qui
marche devant tous, éclairant ceux qui doutent,
Chanteur
mystérieux qu'en tressaillant écoutent
Les femmes, les songeurs,
les sages, les amants,
Devienne formidable à de certains
moments.
Parfois, lorsqu'on se met à rêver sur son livre,
Où
tout berce, éblouit, calme, caresse, enivre,
Où l'âme à chaque
pas trouve à faire son miel,
Où les coins les plus noirs ont des
lueurs du ciel,
Au milieu de cette humble et haute poésie,
Dans
cette paix sacrée où croit la fleur choisie,
Où l'on entend
couler les sources et les pleurs,
Où les strophes, oiseaux peints
de mille couleurs,
Volent chantant l'amour, l'espérance et la
joie,
Il faut que par instants on frissonne, et qu'on voie
Tout
à coup, sombre, grave et terrible au passant,
Un vers fauve
sortir de l'ombre en rugissant !
Il faut que le poète aux
semences fécondes
Soit comme ces forêts vertes, fraîches,
profondes,
Pleines de chants, amour du vent et du
rayon,
Charmantes, où soudain l'on rencontre un lion.
Paris,
mai 1842.
Victor Hugo (1802-1885)
Les
contemplations (1856)
Merci
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