L’expiation
I
Il
neigeait. On était vaincu par sa conquête.
Pour la première
fois l’aigle baissait la tête.
Sombres jours! l’empereur
revenait lentement,
Laissant derrière lui brûler Moscou
fumant.
Il neigeait. L’âpre hiver fondait en avalanche.
Après
la plaine blanche une autre plaine blanche.
On ne connaissait
plus les chefs ni le drapeau.
Hier la grande armée, et
maintenant troupeau.
On ne distinguait plus les ailes ni le
centre.
Il neigeait. Les blessés s’abritaient dans le
ventre
Des chevaux morts; au seuil des bivouacs désolés
On
voyait des clairons à leur poste gelés,
Restés debout, en
selle et muets, blancs de givre,
Collant leur bouche en pierre
aux trompettes de cuivre.
Boulets, mitraille, obus, mêlés aux
flocons blancs,
Pleuvaient; les grenadiers, surpris d’être
tremblants,
Marchaient pensifs, la glace à leur moustache
grise.
Il neigeait, il neigeait toujours! La froide
bise
Sifflait; sur le verglas, dans des lieux inconnus,
On
n’avait pas de pain et l’on allait pieds nus.
Ce n’étaient
plus des cœurs vivants, des gens de guerre:
C’était un rêve
errant dans la brume, un mystère,
Une procession d’ombres sous
le ciel noir.
La solitude vaste, épouvantable à voir,
Partout
apparaissait, muette vengeresse.
Le ciel faisait sans bruit avec
la neige épaisse
Pour cette immense armée un immense
linceul.
Et chacun se sentant mourir, on était seul.
–
Sortira-t-on jamais de ce funeste empire?
Deux ennemis! le czar,
le nord. Le nord est pire.
On jetait les canons pour brûler les
affûts.
Qui se couchait, mourait. Groupe morne et confus,
Ils
fuyaient; le désert dévorait le cortège.
On pouvait, à des
plis qui soulevaient la neige,
Voir que des régiments s’étaient
endormis là.
Ô chutes d’Annibal! lendemains
d’Attila!
Fuyards, blessés, mourants, caissons, brancards,
civières,
On s’écrasait aux ponts pour passer les
rivières,
On s’endormait dix mille, on se réveillait
cent.
Ney, que suivait naguère une armée, à présent
S’évadait,
disputant sa montre à trois cosaques.
Toutes les nuits, qui
vive! alerte, assauts! attaques!
Ces fantômes prenaient leur
fusil, et sur eux
Ils voyaient se ruer, effrayants,
ténébreux,
Avec des cris pareils aux voix des vautours
chauves,
D’horribles escadrons, tourbillons d’hommes
fauves.
Toute une armée ainsi dans la nuit se
perdait.
L’empereur était là, debout, qui regardait.
Il
était comme un arbre en proie à la cognée.
Sur ce géant,
grandeur jusqu’alors épargnée,
Le malheur, bûcheron
sinistre, était monté;
Et lui, chêne vivant, par la hache
insulté,
Tressaillant sous le spectre aux lugubres revanches,
Il
regardait tomber autour de lui ses branches.
Chefs, soldats, tous
mouraient. Chacun avait son tour.
Tandis qu’environnant sa
tente avec amour,
Voyant son ombre aller et venir sur la
toile,
Ceux qui restaient, croyant toujours à son
étoile,
Accusaient le destin de lèse-majesté,
Lui se sentit
soudain dans l’âme épouvanté.
Stupéfait du désastre et ne
sachant que croire,
L’empereur se tourna vers Dieu; l’homme
de gloire
Trembla; Napoléon comprit qu’il expiait
Quelque
chose peut-être, et, livide, inquiet,
Devant ses légions sur la
neige semées:
«Est-ce le châtiment, dit-il. Dieu des
armées?»
Alors il s’entendit appeler par son nom
Et
quelqu’un qui parlait dans l’ombre lui dit: Non.
II
Waterloo!
Waterloo! Waterloo! morne plaine!
Comme une onde qui bout dans
une urne trop pleine,
Dans ton cirque de bois, de coteaux, de
vallons,
La pâle mort mêlait les sombres bataillons.
D’un
côté c’est l’Europe et de l’autre la France.
Choc
sanglant! des héros Dieu trompait l’espérance;
Tu désertais,
victoire, et le sort était las.
O Waterloo! je pleure et je
m’arrête, hélas!
Car ces derniers soldats de la dernière
guerre
Furent grands; ils avaient vaincu toute la terre,
Chassé
vingt rois, passé les Alpes et le Rhin,
Et leur âme chantait
dans les clairons d’airain!
Le
soir tombait; la lutte était ardente et noire.
Il avait
l’offensive et presque la victoire;
Il tenait Wellington acculé
sur un bois.
Sa lunette à la main, il observait parfois
Le
centre du combat, point obscur où tressaille
La mêlée,
effroyable et vivante broussaille,
Et parfois l’horizon, sombre
comme la mer.
Soudain, joyeux, il dit: Grouchy! – C’était
Blücher.
L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme,
La
mêlée en hurlant grandit comme une flamme.
La batterie anglaise
écrasa nos carrés.
La plaine, où frissonnaient les drapeaux
déchirés,
Ne fut plus, dans les cris des mourants qu’on
égorge,
Qu’un gouffre flamboyant, rouge comme une
forge;
Gouffre où les régiments comme des pans de
murs
Tombaient, où se couchaient comme des épis mûrs
Les
hauts tambours-majors aux panaches énormes,
Où l’on
entrevoyait des blessures difformes!
Carnage affreux! moment
fatal! L’homme inquiet
Sentit que la bataille entre ses mains
pliait.
Derrière un mamelon la garde était massée.
La
garde, espoir suprême et suprême pensée!
«Allons! faites
donner la garde!» cria-t-il.
Et, lanciers, grenadiers aux
guêtres de coutil,
Dragons que Rome eût pris pour des
légionnaires,
Cuirassiers, canonniers qui traînaient des
tonnerres,
Portant le noir colback ou le casque poli,
Tous,
ceux de Friedland et ceux de Rivoli,
Comprenant qu’ils allaient
mourir dans cette fête,
Saluèrent leur dieu, debout dans la
tempête.
Leur bouche, d’un seul cri, dit: vive
l’empereur!
Puis, à pas lents, musique en tête, sans
fureur,
Tranquille, souriant à la mitraille anglaise,
La
garde impériale entra dans la fournaise.
Hélas! Napoléon, sur
sa garde penché,
Regardait, et, sitôt qu’ils avaient
débouché
Sous les sombres canons crachant des jets de
soufre,
Voyait, l’un après l’autre, en cet horrible
gouffre,
Fondre ces régiments de granit et d’acier
Comme
fond une cire au souffle d’un brasier.
Ils allaient, l’arme
au bras, front haut, graves, stoïques.
Pas un ne recula. Dormez,
morts héroïques!
Le reste de l’armée hésitait sur leurs
corps
Et regardait mourir la garde. – C’est alors
Qu’élevant
tout à coup sa voix désespérée,
La Déroute, géante à la
face effarée
Qui, pâle, épouvantant les plus fiers
bataillons,
Changeant subitement les drapeaux en haillons,
A
de certains moments, spectre fait de fumées,
Se lève
grandissante au milieu des armées,
La Déroute apparut au soldat
qui s’émeut,
Et, se tordant les bras, cria: Sauve qui
peut!
Sauve qui peut! – affront! horreur! – toutes les
bouches
Criaient; à travers champs, fous, éperdus,
farouches,
Comme si quelque souffle avait passé sur eux.
Parmi
les lourds caissons et les fourgons poudreux,
Roulant dans les
fossés, se cachant dans les seigles,
Jetant shakos, manteaux,
fusils, jetant les aigles,
Sous les sabres prussiens, ces
vétérans, ô deuil!
Tremblaient, hurlaient, pleuraient,
couraient! – En un clin d’œil,
Comme s’envole au vent une
paille enflammée,
S’évanouit ce bruit qui fut la grande
armée,
Et cette plaine, hélas, où l’on rêve
aujourd’hui,
Vit fuir ceux devant qui l’univers avait
fui!
Quarante ans sont passés, et ce coin de la terre,
Waterloo,
ce plateau funèbre et solitaire,
Ce champ sinistre où Dieu mêla
tant de néants,
Tremble encor d’avoir vu la fuite des géants!
Napoléon
les vit s’écouler comme un fleuve;
Hommes, chevaux, tambours,
drapeaux; – et dans l’épreuve
Sentant confusément revenir
son remords,
Levant les mains au ciel, il dit: «Mes soldats
morts,
Moi vaincu! mon empire est brisé comme verre.
Est-ce
le châtiment cette fois, Dieu sévère?»
Alors parmi les cris,
les rumeurs, le canon,
Il entendit la voix qui lui répondait:
Non!
III
Il croula. Dieu changea la chaîne de l’Europe.
Il
est, au fond des mers que la brume enveloppe,
Un roc hideux,
débris des antiques volcans.
Le Destin prit des clous, un
marteau, des carcans,
Saisit, pâle et vivant, ce voleur du
tonnerre,
Et, joyeux, s’en alla sur le pic centenaire
Le
clouer, excitant par son rire moqueur
Le vautour Angleterre à
lui ronger le coeur.
Évanouissement
d’une splendeur immense!
Du soleil qui se lève à la nuit qui
commence,
Toujours l’isolement, l’abandon, la prison;
Un
soldat rouge au seuil, la mer à l’horizon.
Des rochers nus,
des bois affreux, l’ennui, l’espace,
Des voiles s’enfuyant
comme l’espoir qui passe,
Toujours le bruit des flots, toujours
le bruit des vents!
Adieu, tente de pourpre aux panaches
mouvants,
Adieu, le cheval blanc que César éperonne!
Plus de
tambours battant aux champs, plus de couronne,
Plus de rois
prosternés dans l’ombre avec terreur,
Plus de manteau traînant
sur eux, plus d’empereur!
Napoléon était retombé
Bonaparte.
Comme un romain blessé par la flèche du
parthe,
Saignant, morne, il songeait à Moscou qui brûla.
Un
caporal anglais lui disait: halte-là!
Son fils aux mains des
rois, sa femme au bras d’un autre!
Plus vil que le pourceau qui
dans l’égout se vautre,
Son sénat, qui l’avait adoré,
l’insultait.
Au bord des mers, à l’heure où la bise se
tait,
Sur les escarpements croulant en noirs décombres,
Il
marchait, seul, rêveur, captif des vagues sombres.
Sur les
monts, sur les flots, sur les cieux, triste et fier,
L’oeil
encore ébloui des batailles d’hier,
Il laissait sa pensée
errer à l’aventure.
Grandeur, gloire, ô néant! calme de la
nature!
Les aigles qui passaient ne le connaissaient pas.
Les
rois, ses guichetiers, avaient pris un compas
Et l’avaient
enfermé dans un cercle inflexible.
Il expirait. La mort de plus
en plus visible
Se levait dans sa nuit et croissait à ses
yeux,
Comme le froid matin d’un jour mystérieux.
Son âme
palpitait, déjà presque échappée.
Un jour enfin il mit sur
son lit son épée,
Et se coucha près d’elle, et dit: c’est
aujourd’hui!
On jeta le manteau de Marengo sur lui.
Ses
batailles du Nil, du Danube, du Tibre,
Se penchaient sur son
front; il dit: Me voici libre!
Je suis vainqueur! je vois mes
aigles accourir! –
Et, comme il retournait sa tête pour
mourir,
Il aperçut, un pied dans la maison déserte,
Hudson
Lowe guettant par la porte entr’ouverte.
Alors, géant broyé
sous le talon des rois,
Il cria: La mesure est comble cette
fois!
Seigneur! c’est maintenant fini! Dieu que j’implore,
Vous
m’avez châtié! – La voix dit: – Pas encore!
IV
Ô
noirs événements, vous fuyez dans la nuit!
L’empereur mort
tomba sur l’empire détruit.
Napoléon alla s’endormir sous
le saule.
Et les peuples alors, de l’un à l’autre
pôle,
Oubliant le tyran, s’éprirent du héros.
Les poètes,
marquant au front les rois bourreaux,
Consolèrent, pensifs,
cette gloire abattue.
À la colonne veuve on rendit sa
statue.
Quand on levait les yeux, on le voyait debout
Au-dessus
de Paris, serein, dominant tout,
Seul, le jour dans l’azur et
la nuit dans les astres.
Panthéons, on grava son nom sur vos
pilastres!
On ne regarda plus qu’un seul côté des temps,
On
ne se souvint plus que des jours éclatants
Cet homme étrange
avait comme enivré l’histoire
La justice à l’œil froid
disparut sous sa gloire;
On ne vit plus qu’Eylau, Ulm, Arcole,
Austerlitz;
Comme dans les tombeaux des romains abolis,
On se
mit à fouiller dans ces grandes années
Et vous applaudissiez,
nations inclinées,
Chaque fois qu’on tirait de ce sol
souverain
Ou le consul de marbre ou l’empereur d’airain!
V
Le
nom grandit quand l’homme tombe;
Jamais rien de tel n’avait
lui.
Calme, il écoutait dans sa tombe
La terre qui parlait de
lui.
La
terre disait: «La victoire
A suivi cet homme en tous
lieux.
Jamais tu n’as vu, sombre histoire,
Un passant plus
prodigieux!
»
Gloire au maître qui dort sous l’herbe!
Gloire à ce grand
audacieux!
Nous l’avons vu gravir, superbe,
Les premiers
échelons des cieux!
»
Il envoyait, âme acharnée,
Prenant Moscou, prenant
Madrid,
Lutter contre la destinée
Tous les rêves de son
esprit.
»
À chaque instant, rentrant en lice,
Cet homme aux gigantesques
pas
Proposait quelque grand caprice
À Dieu, qui n’y
consentait pas.
»
Il n’était presque plus un homme.
Il disait, grave et
rayonnant,
En regardant fixement Rome
C’est moi qui règne
maintenant!
»
Il voulait, héros et symbole,
Pontife et roi, phare et
volcan,
Faire du Louvre un Capitole
Et de Saint-Cloud un
Vatican.
»
César, il eût dit à Pompée:
‹ Sois fier d’être mon
lieutenant!›
On voyait luire son épée
Au fond d’un nuage
tonnant.
»
Il voulait, dans les frénésies
De ses vastes ambitions,
Faire
devant ses fantaisies
Agenouiller les nations,
»
Ainsi qu’en une urne profonde,
Mêler races, langues,
esprits,
Répandre Paris sur le monde,
Enfermer le monde en
Paris!
»
Comme Cyrus dans Babylone,
Il voulait sous sa large main
Ne
faire du monde qu’un trône
Et qu’un peuple du genre humain,
»
Et bâtir, malgré les huées,
Un tel empire sous son nom,
Que
Jéhovah dans les nuées
Fût jaloux de Napoléon!»
VI
Enfin,
mort triomphant, il vit sa délivrance,
Et l’océan rendit son
cercueil à la France.
L’homme, depuis douze ans, sous le dôme
doré
Reposait, par l’exil et par la mort sacré.
En paix! –
Quand on passait près du monument sombre,
On se le figurait,
couronne au front, dans l’ombre,
Dans son manteau semé
d’abeilles d’or, muet,
Couché sous cette voûte où rien ne
remuait,
Lui, l’homme qui trouvait la terre trop étroite,
Le
sceptre en sa main gauche et l’épée en sa droite,
À ses
pieds son grand aigle ouvrant l’œil à demi,
Et l’on disait:
C’est là qu’est César endormi!
Laissant dans la clarté
marcher l’immense ville,
Il dormait; il dormait confiant et
tranquille.
VII
Une
nuit, – c’est toujours la nuit dans le tombeau, –
Il
s’éveilla. Luisant comme un hideux flambeau,
D’étranges
visions emplissaient sa paupière;
Des rires éclataient sous son
plafond de pierre;
Livide, il se dressa; la vision grandit;
Ô
terreur! une voix qu’il reconnut, lui dit:
– Réveille-toi.
Moscou, Waterloo, Sainte-Hélène,
L’exil, les rois geôliers,
l’Angleterre hautaine
Sur ton lit accoudée à ton dernier
moment,
Sire, cela n’est rien. Voici le châtiment:
La
voix alors devint âpre, amère, stridente,
Comme le noir
sarcasme et l’ironie ardente;
C’était le rire amer mordant
un demi-dieu.
– Sire!
on t’a retiré de ton Panthéon bleu!
Sire! on t’a descendu
de ta haute colonne!
Regarde. Des brigands, dont l’essaim
tourbillonne,
D’affreux bohémiens, des vainqueurs de
charnier
Te tiennent dans leurs mains et t’ont fait
prisonnier.
À ton orteil d’airain leur patte infâme
touche.
Ils t’ont pris. Tu mourus, comme un astre se
couche,
Napoléon le Grand, empereur; tu renais
Bonaparte,
écuyer du cirque Beauharnais.
Te voilà dans leurs rangs, on
t’a, l’on te harnache.
Ils t’appellent tout haut grand
homme, entre eux, ganache.
Ils traînent, sur Paris qui les voit
s’étaler,
Des sabres qu’au besoin ils sauraient avaler.
Aux
passants attroupés devant leur habitacle,
Ils disent,
entends-les: – Empire à grand spectacle!
Le pape est engagé
dans la troupe; c’est bien,
Nous avons mieux; le czar en est
mais ce n’est rien,
Le czar n’est qu’un sergent, le pape
n’est qu’un bonze
Nous avons avec nous le bonhomme de
bronze!
Nous sommes les neveux du grand Napoléon! –
Et
Fould, Magnan, Rouher, Parieu caméléon,
Font rage. Ils vont
montrant un sénat d’automates.
Ils ont pris de la paille au
fond des casemates
Pour empailler ton aigle, ô vainqueur
d’Iéna!
Il est là, mort, gisant, lui qui si haut plana,
Et
du champ de bataille il tombe au champ de foire.
Sire, de ton
vieux trône ils recousent la moire.
Ayant dévalisé la France
au coin d’un bois,
Ils ont à leurs haillons du sang, comme tu
vois,
Et dans son bénitier Sibour lave leur linge.
Toi, lion,
tu les suis; leur maître, c’est le singe.
Ton nom leur sert de
lit, Napoléon premier.
On voit sur Austerlitz un peu de leur
fumier.
Ta gloire est un gros vin dont leur honte se
grise.
Cartouche essaie et met ta redingote grise
On quête
des liards dans le petit chapeau
Pour tapis sur la table ils ont
mis ton drapeau.
À cette table immonde où le grec devient
riche,
Avec le paysan on boit, on joue, on triche;
Tu te
mêles, compère, à ce tripot hardi,
Et ta main qui tenait
l’étendard de Lodi,
Cette main qui portait la foudre, ô
Bonaparte,
Aide à piper les dés et fait sauter la carte.
Ils
te forcent à boire avec eux, et Carlier
Pousse amicalement d’un
coude familier
Votre majesté, sire, et Piétri dans son
antre
Vous tutoie, et Maupas vous tape sur le ventre.
Faussaires,
meurtriers, escrocs, forbans, voleurs,
Ils savent qu’ils
auront, comme toi, des malheurs
Leur soif en attendant vide la
coupe pleine
À ta santé; Poissy trinque avec
Sainte-Hélène.
Regarde! bals, sabbats, fêtes matin et soir.
La
foule au bruit qu’ils font se culbute pour voir;
Debout sur le
tréteau qu’assiège une cohue
Qui rit, bâille, applaudit,
tempête, siffle, hue,
Entouré de pasquins agitant leur
grelot,
– Commencer par Homère et finir par Callot!
Épopée!
épopée! oh! quel dernier chapitre! –
Entre Troplong paillasse
et Chaix-d’Est-Ange pitre,
Devant cette baraque, abject et vil
bazar
Où Mandrin mal lavé se déguise en César,
Riant,
l’affreux bandit, dans sa moustache épaisse,
Toi, spectre
impérial, tu bats la grosse caisse! –
L’horrible
vision s’éteignit. L’empereur,
Désespéré, poussa dans
l’ombre un cri d’horreur,
Baissant les yeux, dressant ses
mains épouvantées.
Les Victoires de marbre à la porte
sculptées,
Fantômes blancs debout hors du sépulcre obscur,
Se
faisaient du doigt signe, et, s’appuyant au mur,
Écoutaient le
titan pleurer dans les ténèbres.
Et lui, cria: «Démon aux
visions funèbres,
Toi qui me suis partout, que jamais je ne
vois,
Qui donc es-tu? – Je suis ton crime», dit la voix.
La
tombe alors s’emplit d’une lumière étrange
Semblable à la
clarté de Dieu quand il se venge
Pareils aux mots que vit
resplendir Balthazar,
Deux mots dans l’ombre écrits
flamboyaient sur César;
Bonaparte, tremblant comme un enfant
sans mère,
Leva sa face pâle et lut: – Dix huit Brumaire!
25-30 novembre. Jersey.
Victor Hugo, Les Châtiments
Nous apprenions au collège des tirades entières des"châtiments " de ce très grand poète qu'était VICTOR HUGO.
RépondreSupprimerExact, et quelle merveille ces vers !
RépondreSupprimerBrillant versificateur , les poètes ce sont Baudelaire , Rimbaud , Verlaine
RépondreSupprimerC'est plus grand que de la simple poésie ! C'est sublime . Mais V. Hugo a pourtant mérité le titre de plus grand poète français . . . Enfin ," tous les goûts sont dans la nature " . . .
SupprimerDeux Géants .S.
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