Nicolas FOURNIER "Le Reniement de saint Pierre"_1625 Huile sur toile. (172 cm X 252 cm) Madrid, musée du Prado. |
Le Reniement de saint Pierre
Qu’est-ce
que Dieu fait donc de ce flot d’anathèmes
Qui monte tous les
jours vers ses chers Séraphins ?
Comme un tyran gorgé de
viande et de vins,
Il s’endort au doux bruit de nos affreux
blasphèmes.
Les
sanglots des martyrs et des suppliciés
Sont une symphonie
enivrante sans doute,
Puisque, malgré le sang que leur volupté
coûte,
Les cieux ne s’en sont point encore rassasiés !
— Ah !
Jésus, souviens-toi du Jardin des Olives !
Dans ta
simplicité tu priais à genoux
Celui qui dans son ciel riait au
bruit des clous
Que d’ignobles bourreaux plantaient dans tes
chairs vives,
Lorsque
tu vis cracher sur ta divinité
La crapule du corps de garde et
des cuisines,
Et lorsque tu sentis s’enfoncer les épines
Dans
ton crâne où vivait l’immense Humanité ;
Quand
de ton corps brisé la pesanteur horrible
Allongeait tes deux bras
distendus, que ton sang
Et ta sueur coulaient de ton front
pâlissant,
Quand tu fus devant tous posé comme une cible,
Rêvais-tu
de ces jours si brillants et si beaux
Où tu vins pour remplir
l’éternelle promesse,
Où tu foulais, monté sur une douce
ânesse,
Des chemins tout jonchés de fleurs et de rameaux,
Où,
le cœur tout gonflé d’espoir et de vaillance,
Tu fouettais
tous ces vils marchands à tour de bras,
Où tu fus maître
enfin ? Le remords n’a-t-il pas
Pénétré dans ton flanc
plus avant que la lance ?
— Certes,
je sortirai, quant à moi, satisfait
D’un monde où l’action
n’est pas la sœur du rêve ;
Puissé-je user du glaive et
périr par le glaive !
Saint Pierre a renié Jésus… il a
bien fait !
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal, 1857
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire