Pranzi
è cenæ (suite et fin)
Dans le temps même où avaient lieu les orgies dont l'histoire a retenu les excentricités somptueuses, parfois grotesques, voire répugnantes, un grand nombre de Romains étaient habitués à transformer le dîner qui couronnait leur journée en une fête discrète et charmante où l'esprit prenait autant de part que les sens et dont la méticuleuse ordonnance n'excluait ni la mesure ni la simplicité. C'est ainsi que Martial organise une "cena" pour sept convives sur le stibadium [2] de sa salle à manger : "Mon intendante m'a apporté des mauves laxatives et les richesses variées dont se pare mon jardin, la laitue aplatie et le poireau à sectionner en tranches , sans oublier la menthe flatteuse ni la roquette qui porte à l'amour. Des œufs coupés menu couronneront des anchois sur un lit de rue, et il y aura des tétines de truie relevées par de la saumure de thon[3]. Voilà pour les hors-d'œuvre. Et puis mon modeste repas ne souffrira qu'un seul service : un chevreau soustrait à la dent d'un loup féroce, des côtelettes grillées, des fèves et de jeunes choux verts. À cela s'ajoutera un poulet ainsi qu'un jambon qui a déjà survécu à trois repas. Quand vous n'aurez plus faim, je vous servirai des fruits mûrs, un flacon de Nomentum débarrassé de sa lie et qui atteignit deux fois trois ans sous le Consulat de Frontin[4]. Escomptez en outre des plaisanteries sans fiel, une franchise qui ne vous effrayera pas le lendemain matin et pas une parole que vous voudriez n'avoir pas lâchée."
Dans le temps même où avaient lieu les orgies dont l'histoire a retenu les excentricités somptueuses, parfois grotesques, voire répugnantes, un grand nombre de Romains étaient habitués à transformer le dîner qui couronnait leur journée en une fête discrète et charmante où l'esprit prenait autant de part que les sens et dont la méticuleuse ordonnance n'excluait ni la mesure ni la simplicité. C'est ainsi que Martial organise une "cena" pour sept convives sur le stibadium [2] de sa salle à manger : "Mon intendante m'a apporté des mauves laxatives et les richesses variées dont se pare mon jardin, la laitue aplatie et le poireau à sectionner en tranches , sans oublier la menthe flatteuse ni la roquette qui porte à l'amour. Des œufs coupés menu couronneront des anchois sur un lit de rue, et il y aura des tétines de truie relevées par de la saumure de thon[3]. Voilà pour les hors-d'œuvre. Et puis mon modeste repas ne souffrira qu'un seul service : un chevreau soustrait à la dent d'un loup féroce, des côtelettes grillées, des fèves et de jeunes choux verts. À cela s'ajoutera un poulet ainsi qu'un jambon qui a déjà survécu à trois repas. Quand vous n'aurez plus faim, je vous servirai des fruits mûrs, un flacon de Nomentum débarrassé de sa lie et qui atteignit deux fois trois ans sous le Consulat de Frontin[4]. Escomptez en outre des plaisanteries sans fiel, une franchise qui ne vous effrayera pas le lendemain matin et pas une parole que vous voudriez n'avoir pas lâchée."
C'est
encore Pline le Jeune qui fait servir au préfet Septicius Clarus
qu'il a convié, modèle de frugalité, bien qu'il s'y soit mis en
frais, une laitue, trois escargots, deux œufs par personne, des
olives, des oignons et des courges, un gâteau d'épeautre arrosé
d'un vin miellé et refroidi dans la neige. Et pour intermèdes, soit
un lecteur, soit un comique, soit un joueur de lyre, soit les trois à
la suite, sans oublier l'agrément de conversations socratiques …

La cuisine corse s'étaye sur de
solides et lointaines traditions, on peut raisonnablement penser que
près de trois siècles d'occupation romaine ont influencé
durablement notre manière de vivre. _ (Yzus)
[1] Juvénal* (XI-64-76) (* : poète satirique romain de la fin du Ier siècle et du début du IIe siècle)
[2] Stibadium : lit unique dessiné autour d'une table ronde, en arc de cercle ou, comme on disait, d'une sigma lunaire. Les personnages les plus marquants occupaient les extrémités. Il y avait place à la rigueur pour neuf personnes mais on n'en admettait d'ordinaire que sept ou huit.
[3] Muria : moins cher et moins prisé que le garum
[4] Consulat de Frontin, 98 après JC
Bibliographie
: ''La vie quotidienne à Rome à l'apogée de l'empire.'' Jérome
Carcopino. Éditions Hachette 1985.
Super texte super images super blog
RépondreSupprimerBelle évocation par Ysus alias Suzy
RépondreSupprimerLouis
Un festin à tous points de vue,merci.
RépondreSupprimerGénération Dominici ?bravo.
RépondreSupprimerCher-e 16 h 53 ,oui ,j'ai eu l'honneur ,et aussi le bonheur ,d'avoir connu Monsieur Barthélémy Dominici mon maître bien -aime .Tout comme moi ,
RépondreSupprimerl'apprecierent et le chérirent mes aînés Jacques Olmeta ,Charlot Casta ,mes contemporains -es Mimi ,ma sœur de lait ,Catherine,Fernande ,Lulu,Angèle ,
Toussait ,Raoul ......et les plus jeunes ,Battine ,César .....pardon à celles et ceux dont le nom m'échappe.
Je n'oublie pas Monsieur et Madame Turchini ,ma grand -tante et ses dictées ainsi que toutes les institutrices d'Ortale.Yzus
Ayant beaucoup apprécié il y a une vingtaine d'années vos chroniques et déjà vos recettes dans Corse -matin ,je suis heureux de vour retrouver dans le blog ou vous faites preuve d'un bel éclectisme..J'aime que vous citiez nommément des personnes qui hélas souvent ne sont plus ,discrètement ,et sans jamais tirer la couverture à vous .Faites -vous moins rare si possible .Merci .Un contemporain.
RépondreSupprimerUn ortalais -rutalais (ou une ) convie à une cena aurait apprécié le menu romain ,asperges ,œufs durs ,chevreau ,bon vin .....de même ,Juvenal,Martial,Pline le jeune et le préfet ,invités au déjeuner pascal,n'auraient eu à regretter que le stibadium.Qu'a cela n'eut tenu!il aurait suffi de déplacer devant leur couvert le sopha présent dans la plupart des salles à manger de l'île
RépondreSupprimerJ'adore prendre le petit déj au lit (seulement le week-end) servi par ma femme (pas un mot à Schiappa)je fais de même pour son anniversaire ,la fête des mères et certains matins après ..Stop ,j'arrête ,atteinte à ma vie privée
PS atavisme romain ,c'est grave docteur?
9h 32 A vous la palme ( pré -pascale ) du meilleur commentaire de la semaine .
RépondreSupprimerJe dirais de la quinzaine et j'ai bien lu !
RépondreSupprimerOn pourrait lui décerner le prix de l'humour ,une idée à creuser?
RépondreSupprimerC'est vrai qu'un commentaire amusant ,bien écrit ,sans fiel fait plaisir à lire ,le sopha ,pas un mot à Marlene,et les petits dejeuners décemment évoqués de certains matins m'ont beaucoup amusée .
RépondreSupprimerMoi itou ça nous change de certains
RépondreSupprimerQui font la course à l'echalote par commentaires interposés regardez ça saute aux yeux même masques.........
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