mercredi 10 avril 2019

En attendant Pâques... (avec Yzus)

Pranzi è cenæ  (suite et fin)
Dans le temps même où avaient lieu les orgies dont l'histoire a retenu les excentricités somptueuses, parfois grotesques, voire répugnantes, un grand nombre de Romains étaient habitués à transformer le dîner qui couronnait leur journée en une fête discrète et charmante où l'esprit prenait autant de part que les sens et dont la méticuleuse ordonnance n'excluait ni la mesure ni la simplicité. C'est ainsi que Martial organise une "cena" pour sept convives sur le stibadium [2] de sa salle à manger : "Mon intendante m'a apporté des mauves laxatives et les richesses variées dont se pare mon jardin, la laitue aplatie et le poireau à sectionner en tranches , sans oublier la menthe flatteuse ni la roquette qui porte à l'amour. Des œufs coupés menu couronneront des anchois sur un lit de rue, et il y aura des tétines de truie relevées par de la saumure de thon[3]. Voilà pour les hors-d'œuvre. Et puis mon modeste repas ne souffrira qu'un seul service : un chevreau soustrait à la dent d'un loup féroce, des côtelettes grillées, des fèves et de jeunes choux verts. À cela s'ajoutera un poulet ainsi qu'un jambon qui a déjà survécu à trois repas. Quand vous n'aurez plus faim, je vous servirai des fruits mûrs, un flacon de Nomentum débarrassé de sa lie et qui atteignit deux fois trois ans sous le Consulat de Frontin[4]. Escomptez en outre des plaisanteries sans fiel, une franchise qui ne vous effrayera pas le lendemain matin et pas une parole que vous voudriez n'avoir pas lâchée."
C'est encore Pline le Jeune qui fait servir au préfet Septicius Clarus qu'il a convié, modèle de frugalité, bien qu'il s'y soit mis en frais, une laitue, trois escargots, deux œufs par personne, des olives, des oignons et des courges, un gâteau d'épeautre arrosé d'un vin miellé et refroidi dans la neige. Et pour intermèdes, soit un lecteur, soit un comique, soit un joueur de lyre, soit les trois à la suite, sans oublier l'agrément de conversations socratiques …


Il est dit que l'histoire, pour certains un perpétuel recommencement, ne repasse pas les plats, il semblerait qu'elle le fasse parfois, au propre comme au figuré… Non loin d'Ortale, à Mariana, les vétérans de Marius et de Sylla qui cultivaient leurs jardins nous ont laissé en héritage "le principe d'employer sagement les présents des dieux".
La cuisine corse s'étaye sur de solides et lointaines traditions, on peut raisonnablement penser que près de trois siècles d'occupation romaine ont influencé durablement notre manière de vivre. _ (Yzus)

[1] Juvénal* (XI-64-76) (* : poète satirique romain de la fin du Ier siècle et du début du IIe siècle)
[2] Stibadium : lit unique dessiné autour d'une table ronde, en arc de cercle ou, comme on disait, d'une sigma lunaire. Les personnages les plus marquants occupaient les extrémités. Il y avait place à la rigueur pour neuf personnes mais on n'en admettait d'ordinaire que sept ou huit.

[3] Muria : moins cher et moins prisé que le garum
[4] Consulat de Frontin, 98 après JC
Bibliographie : ''La vie quotidienne à Rome à l'apogée de l'empire.'' Jérome Carcopino. Éditions Hachette 1985.

13 commentaires:

  1. Super texte super images super blog

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  2. Belle évocation par Ysus alias Suzy

    Louis

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  3. Un festin à tous points de vue,merci.

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  4. Génération Dominici ?bravo.

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  5. Cher-e 16 h 53 ,oui ,j'ai eu l'honneur ,et aussi le bonheur ,d'avoir connu Monsieur Barthélémy Dominici mon maître bien -aime .Tout comme moi ,
    l'apprecierent et le chérirent mes aînés Jacques Olmeta ,Charlot Casta ,mes contemporains -es Mimi ,ma sœur de lait ,Catherine,Fernande ,Lulu,Angèle ,
    Toussait ,Raoul ......et les plus jeunes ,Battine ,César .....pardon à celles et ceux dont le nom m'échappe.
    Je n'oublie pas Monsieur et Madame Turchini ,ma grand -tante et ses dictées ainsi que toutes les institutrices d'Ortale.Yzus

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  6. Ayant beaucoup apprécié il y a une vingtaine d'années vos chroniques et déjà vos recettes dans Corse -matin ,je suis heureux de vour retrouver dans le blog ou vous faites preuve d'un bel éclectisme..J'aime que vous citiez nommément des personnes qui hélas souvent ne sont plus ,discrètement ,et sans jamais tirer la couverture à vous .Faites -vous moins rare si possible .Merci .Un contemporain.

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  7. Un ortalais -rutalais (ou une ) convie à une cena aurait apprécié le menu romain ,asperges ,œufs durs ,chevreau ,bon vin .....de même ,Juvenal,Martial,Pline le jeune et le préfet ,invités au déjeuner pascal,n'auraient eu à regretter que le stibadium.Qu'a cela n'eut tenu!il aurait suffi de déplacer devant leur couvert le sopha présent dans la plupart des salles à manger de l'île
    J'adore prendre le petit déj au lit (seulement le week-end) servi par ma femme (pas un mot à Schiappa)je fais de même pour son anniversaire ,la fête des mères et certains matins après ..Stop ,j'arrête ,atteinte à ma vie privée
    PS atavisme romain ,c'est grave docteur?

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  8. 9h 32 A vous la palme ( pré -pascale ) du meilleur commentaire de la semaine .

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  9. Je dirais de la quinzaine et j'ai bien lu !

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  10. On pourrait lui décerner le prix de l'humour ,une idée à creuser?

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  11. C'est vrai qu'un commentaire amusant ,bien écrit ,sans fiel fait plaisir à lire ,le sopha ,pas un mot à Marlene,et les petits dejeuners décemment évoqués de certains matins m'ont beaucoup amusée .

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  12. Moi itou ça nous change de certains

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  13. Qui font la course à l'echalote par commentaires interposés regardez ça saute aux yeux même masques.........

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