Un texte de JB Giacomoni qui donne à réfléchir...

Le confinement peut servir à un tas de choses. On regarde les vieux papiers et on retrouve de vieux récits tels que celui-ci.

Vol à l’étalage

Paris-Abondance- 13ème. Amoncellement de fruits en pyramides au bord du trottoir. Croisé petite vieille décharnée, dans un accoutrement de carnaval, marchant le buste incliné en s’appuyant sur une canne et sur des jambes très maigres, plantées dans de larges charentaises-ventouses. Vu sa main gauche, osseuse, se crisper furtivement, au passage, sur un pruneau de l’étalage. « holà, holà, la mémé ! Voulez-vous me remettre ça à sa place ! Non mais, elle est bonne celle-là ! » lança le cerbère de service. Stoppée net, la mémé ; elle n’était pas dure de la feuille. Vissée sur son trépied, elle effectua une légère rotation du tronc et rejeta le fruit défendu qui retourna s’agglutiner à la masse (Ouf ! Encore une tant-hâtive avortée de vol à l’étal-âge du paria-abonde-en ce 13ème ; faudra en parler à ce ministre qui laisse partir volontiers ses pruneaux quand c’est tout bon). Puis elle continua son chemin sans mot dire, sans maudire...Et moi, interloqué, comme si j’avais pris un pruneau dans la figure, moi qui aurais dû lui offrir l’équivalent de son poids en pruneaux d’à jeun ( je ne me serais pas ruiné en l’occurrence), je continuai aussi mon chemin, sans mot dire, sans maudire, sûr que j’étais qu’elle préférait que je n’eusse rien vu. Mais longtemps je m’en suis voulu de ma non-intervention coupable. Jbg (vieux papiers)