Plus du tout énervé, Michelet fut digne de sa réputation, et même innova en faisant servir, contrairement à la coutume, le foie gras d'oie de Strasbourg en entrée, au début du dîner. Le saumon de Loire en Bellevue précéda les fameux Épigrammes artistiquement présentés en couronne, accompagnés de différentes sauces très relevées. Après une suite classique, qui n'oublia pas les fromages, la bombe glacée, sublime, de Tortoni, rafraîchit en point d'orgue tous les palais. Les vins, sélectionnés par Gratien, furent au diapason de ces mets de choix.
Augustine, en fille avertie, y trempa poliment ses jolies lèvres, mais ne but, modérément, que du Champagne, ce vin dont Madame de Pompadour disait que c'était "le seul qui laisse la femme belle après boire" (une légende raconte aussi que la première coupe a été moulée sur son sein). En revanche, les émotions de la journée lui ayant ouvert l'appétit, elle fit honneur à chaque plat servi, mangeant avec des délicatesses de chatte d'évêque, sans se tromper dans les différents couverts. Sobriété aidant, elle ne dit aucune sottise, sourit beaucoup à ses voisins de table, charmant l'aimable Sarcey qui l'imaginait déjà dans les meilleurs rôles d'ingénues du répertoire. Clément-César de La Pantanie, ne la quittait pas des yeux, en oubliant même de manger, c'est vous dire...
Après le café et les liqueurs pris au salon, un Havane au fumoir pour la plupart des officiers, Raynaldo Hahn, à la demande générale, se mit au piano : ce fut l'heure exquise, bissée, et les autres chansons grises sur des poèmes de Verlaine. Doté d'une belle voix de baryton léger, il chanta en s'accompagnant ; puis il joua sa valse "Inspiration" et, au final, en l'honneur du régiment de Choiseul-Cavalerie, la marche militaire "Les jeunes lauriers" qui déchaîna une salve d'applaudissements.
À minuit, la Marquise, hôtesse attentionnée, fit servir jus de fruits, sorbets et autres rafraîchissements et mignardises. Gratien enflamma un grand punch qui en tenta beaucoup.
La Marquise les convia, toutes et tous, dans une semaine exactement, même jour même heure, à un dîner de chasse, avec lièvre à la royale à la Michelet. Après les Épigrammes et le lièvre à la royale, il y eut le dîner des cèpes, des marrons et, plus original, celui des écrevisses. Michelet en vit un matin aux Halles, dans des paniers, avec de la paille et des orties, qui lui rappelèrent celles qu'il pêchait, enfant, dans son petit village du Dauphiné et que sa mère préparait avec du poulet, des tomates, du vin blanc et quelques herbes. Il enrichit la recette de crème fraîche, ajouta du Cognac, de l'estragon, du céleri, d'autres aromates, et présenta son poulet aux écrevisses à la Marquise et à ses invités. Ce fut un triomphe : le dîner fut bissé, ce qui n'était jamais arrivé même pour les Épigrammes. La Marquise, reconnaissante, augmenta son salaire de belle façon.
... (à suivre)
Ce soir nous découvrons un texte dont le héros porte le prénom de notre fils. Que c'est amusant ! Bravo à l'écrivain ou l'écrivaine pour ce Clément-César de la Pantanie dont nous allons suivre les aventures.
RépondreSupprimerClément et Catherine